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communiqueraient, en outre, de distance en distance par des rameaux transversaux très rapprochés, tous les 100 mètres par exemple, qui feraient des deux galeries un ensemble en rapport étroit.

En ce qui concerne les raccordemens avec les lignes existantes, les études nouvelles que nous avons faites nous ont montré qu’on pouvait améliorer considérablement les tracés étudiés en 1881 sur le territoire français.

Grâce au nouveau point choisi pour l’entrée du tunnel, un peu au Sud du cran d’Escalles au-dessus du niveau de la mer, la ligne de raccordement se détachera à Beuvrequent de la ligne de Boulogne à Calais, passera tout près de Marquise et aboutira presque en ligne droite à Wissant, joli petit village, bien connu des peintres et en particulier de Jules Breton (le frère de l’ingénieur de la Compagnie française du tunnel). Wissant est situé à peu près à mi-chemin entre le Cap Gris-Nez et le Cap Blanc-Nez. C’est là, au pied du monticule où fut le camp de César s’embarquant pour l’Angleterre, que se placera la gare de douane et de triage commune au chemin de fer sous-marin et au chemin de fer du Nord. C’est là que se fera le rebroussement nécessaire pour le changement des machines, la machine à vapeur du train du Continent venant au fond de l’impasse, la machine électrique venant s’atteler en queue du train qui deviendra la tête, sans manœuvre ou perte de temps.

La partie de voie au jour après la sortie du tunnel ne nécessitera pas des travaux difficiles ou coûteux, sauf le viaduc qui précéderait l’entrée du tunnel et qui serait établi, si, — bien à tort d’ailleurs, — subsistaient les préoccupations militaires[1] qui le faisaient exiger par lord Wolseley, de manière à être battu par les canons d’une flotte maîtresse du détroit. Elle aurait une

  1. Nous n’insisterons pas sur la vanité du risque d’invasion qui, non fondé il y a quelque vingt ans, doit être regardé comme absolument chimérique. L’ennemi que redoutait lord Wolseley est devenu l’ami et, dans l’état de l’Europe, rien ne fait prévoir que l’entente cordiale soit destinée à disparaître. En fût-il autrement, peut-on admettre qu’un long boyau comme le tunnel, sans voies de dégagement à l’arrivée, sans quais de déchargement, pourrait donner passage à un corps de troupe un peu important comprenant non seulement des hommes, mais du matériel ? Peut-on supposer que, par un coup de main, une troupe d’hommes peu nombreuse, si déterminée fût-elle, pourrait se rendre maîtresse des trois forts qui, à 1 200 mètres, à 1 600 mètres et à 3 200 mètres pourraient être édifiés et battre l’entrée du tunnel dont le débouché a été étudié au fond d’un vallon d’où elle serait dominée par les trois forts ? Enfin le tunnel, tel qu’il est conçu avec ses 54 kilomètres de longueur, ne pourrait recevoir des locomotives à vapeur qui n’y respireraient pas ; on a prévu la traction électrique qui pourrait être réalisée avec deux usines ; l’usine anglaise alimentant les trains venant de France, l’usine française alimentant les trains venant d’Angleterre. La simple coupure du câble d’alimentation rendrait la traction impossible et suffirait à elle seule pour empêcher l’ennemi de pénétrer en Angleterre, d’atteindre la tête du tunnel, puis de conquérir Douvres et ses forts et de s’y établir pour envahir l’Angleterre.
    Si on veut bien peser tout cela, songer à la variété et à la puissance des moyens à l’aide desquels on peut interdire l’accès du tunnel ; si on veut bien se rendre compte de l’impossibilité de transporter en Angleterre même une faible troupe sans risquer de la faire anéantir aussitôt, on comprendra l’opinion exprimée par le célèbre maréchal de Moltke qu’il ne faut pas faire le tunnel, qui ne pourrait pas servir à attaquer l’Angleterre, mais qui serait funeste à l’Allemagne en cas de conflit.