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grandes eaux. J’ai pied. Bonjour, ma très chère amie. Vive Jésus ! Je vous aime ; hâtez-vous de me dire que vous avez de l’amitié pour moi, quoique je le sache bien.

Je vous remercie de m’avoir envoyé ces copies de lettres. La grande de la grande âme est une merveille. Non certes, je ne veux pas les brûler malgré vos ordres. C’est un portrait vivant de Jésus que je ne peux détruire. Je vous la renverrai si vous le voulez, mais je ne jetterai pas au feu une lettre dictée pour la consolation de ceux qui savent reconnaître le style de l’Esprit-Saint. Je crois que ces paroles enflammées doivent, à un moment que Dieu connaît, arriver à la postérité.

Elles sont des rayons de feu qui fondront des enveloppes de glace et de pierre et délivreront des âmes.

Adieu, fleur de la croix bienheureuse, vos yeux et votre cœur versent des larmes de sang, mais vous verrez un jour quels diamans deviennent ces gouttes et comment vous formez un trésor immortel. Je vous honore et je vous chéris.


Paris, 13 mars 1875.

Ma bien chère amie, je vous assure que je n’ai pas le temps, je vous jure qu’il ne m’est pas possible de vous écrire. Vous dites que vous êtes ma vieille amoureuse ; je suis encore plus votre vieil amoureux, et c’est moi qui ai commencé. Une fois j’ai fait un vers que je trouvais beau et qui est resté solitaire :


Les vieux époux sont beaux, les vieux amans sont drôles.


Je l’avais fait à Rome en voyant deux Anglais, le mâle et la femelle, qui brûlaient passé l’âge. Mais c’était avant Nice, où j’ai appris une façon de flamber sans rôtir des pièces de soixante ans et plus sans la moindre drôlerie. Ce serait une recette à porter au marché comme l’eau Laferrière, éternelle jeunesse, éternel amour, toujours ardent, toujours flambant, ne craignant ni la fumée, ni l’eau, ni le vent, ni la boue, et parfaitement garanti contre le ridicule. Mais les badauds croiraient que cet amour n’existe pas. Le farceur qui mit en vente sur le Pont-Neuf des pièces de cinq francs à cinquante centimes la pièce, n’en vendit pas une. Ainsi notre amour plus que véritable serait dédaigné. Si nous disions qu’on peut l’envoyer par la poste sans frais, ils ne voudraient pas le recevoir. Un amour garanti contre