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toujours plus complexe, s’attarde à cette recherche du détail et du morceau qui, dans l’art grec en décadence, signale déjà le byzantinisme. L’histoire de Polybe ne fait pas drame ; son développement est verbeux, sa langue molle. Si plein et si nourri, il fatigue et, comme le dit crûment Denys d’Halicarnasse, il ennuie.

D’après Polybe, trois conditions sont nécessaires pour écrire l’histoire : étudier les documens, connaître les lieux, et surtout avoir l’expérience des affaires. Quant à l’imagination et à l’émotion, il n’en a cure. Polybe est le modèle des écrivains didactiques, il n’a pas son pareil pour exposer le mécanisme des institutions et les raisons de la politique. Homme d’État, il a laissé à l’avenir la plus intelligente explication d’une des plus grandes affaires d’État qui fut jamais, la substitution de Rome à la Grèce, et cela suffit à sa gloire.

J’emprunterai à Polybe un tableau où est rendue sensible la force et la vertu des traditions familiales et nationales dans l’ancienne Rome. C’est une leçon pour tous les âges[1] : « Lorsque, à Rome, un homme considérable meurt, on porte en grande pompe, après la cérémonie funèbre, son corps à la tribune sur le Forum ; là on le dresse tout droit, de façon que tous puissent le voir ; plus rarement on le couche. En présence du peuple entier rassemblé à l’entour, son fils, s’il en a un qui soit en âge et qui se trouve à Rome, sinon quelqu’un de ses parens, monte à la tribune pour rappeler les vertus du mort, les choses accomplies par lui durant sa vie. Qu’arrive-t-il ? Les assistans qui se rappellent et remettent ainsi sous les yeux tout (ce qu’il a fait (je ne dis pas ici seulement ceux qui ont pris part aux mêmes actions, mais ceux-là même qui y sont étrangers) sont tellement émus à ce souvenir, que le deuil d’une famille semble un deuil public. Lorsque les funérailles sont terminées et que les derniers devoirs ont été rendus au mort, on place son image dans l’endroit le plus apparent de la maison, sous un dais de bois. Cette image reproduit, aussi exactement qu’il est possible, ses traits et son teint. Aux fêtes publiques, on la découvre, on la pare avec soin. S’il meurt quelque personnage illustre de la famille, on couvre, de ces mêmes ornemens, les hommes qui paraissent le mieux ressembler pour la taille et l’allure générale

  1. Liv. VI, § 53. Traduction de Félix Bouchot.