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l’Impératrice, — veuve de l’empereur Ferdinand, et grande bienfaitrice du cercle, — qui sûrement serait informée de leur conduite. « L’après-midi, — ajouta-t-il par manière de consolation, — nous ferons un pèlerinage à l’abbaye de Maria Plain. Là-haut, un tonneau de bière sera ouvert aux frais de la caisse du cercle, et un second à mes propres frais. Aussi suis-je tranquille de ce côté-là : personne de vous ne manquera à cette seconde partie de la fête ! » Tout le monde se mit à rire, et je crois bien que le Dr Schœpf obtint ce qu’il désirait. L’après-midi de la fête, catholiques et protestans nous nous mimes joyeusement en marche derrière une magnifique bannière, portée par notre doyen, et où se trouvait brodée l’image de saint Joseph. Arrivés à Maria Plain, nous fîmes d’abord une longue visite à l’église, richement décorée ; et puis ce fut la station à l’auberge voisine. Les tonneaux furent vite épuisés, et maints des pèlerins revinrent à Salzbourg d’un pas mal assuré. Quant à moi, je fis ce chemin de retour en compagnie de notre président et d’un autre ouvrier protestant, originaire de Hanovre. Avant de prendre congé de nous, le Dr Schœpf nous fit entrer dans un café, ou nous jouâmes une partie de billard, — la première et la dernière de toute ma vie. Naturellement nous perdîmes la partie, mon collègue et moi ; mais ce n’en fut pas moins le Dr Schœpf qui paya.

Quelque trente ans plus tard, un M. de Pfister m’écrivit, de Lintz, que, empêché par la maladie de venir à Berlin, il tenait du moins à m’envoyer par la poste les complimens dont l’avait chargé pour moi le chanoine Schœpf de Salzbourg. Comment le Dr Schœpf avait pu se souvenir de moi, c’est ce que je n’ai jamais su : mais sûrement, l’impression que lui avait laissée le jeune apprenti-tourneur de jadis ne saurait avoir été assez forte pour lui permettre, à elle seule, de reconnaître ce jeune gaillard dans le député socialiste au Reichstag. Lorsque j’ai eu moi-même l’occasion de revoir Salzbourg, en 1901, le Dr Schœpf était mort déjà depuis plusieurs années. J’ai été heureux d’apprendre qu’il avait conservé jusqu’au bout son humeur joviale, ainsi que sa charmante amabilité de naguère.


« Aimable et jovial, » ce n’est certainement pas ainsi que nous serions tentés de définir le caractère d’Auguste Bebel lui-même, d’après l’image que nous en offrent les deux volumes de ses Souvenirs. Presque toujours, au contraire, le leader socialiste nous y apparaît le petit bourgeois maussade et méfiant que j’ai jadis rencontré dans un salon berlinois. Il ergote à perte de vue sur d’infimes détails, réduit les événemens historiques les plus graves aux proportions d’incidens médiocres, où jamais d’ailleurs il n’aperçoit que son rôle personnel ; et jamais non plus il ne se résigne à oublier ses moindres griefs, remplissant tout son livre d’aigres et mesquines récriminations qui achèvent de nous en rendre l’atmosphère presque irrespirable. Mais, tout d’abord, c’est chose certaine que cette impression fâcheuse qui ressort pour nous de ses deux volumes tient, en grande partie, à sa profonde ignorance du métier littéraire. L’ex-ouvrier tourneur a eu