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aussi qu’il a publié plus tard une brochure intitulée : Christianisme et Socialisme ; mais nous ne pouvons nous empêcher de supposer que, là encore, il s’est borné à écrire plus ou moins sous la dictée de ce Liebknecht qui paraît décidément avoir été son « cerveau, » la source à peu près unique de toute sa pensée. Car comment admettre que, si la question religieuse l’avait jamais ému pour son propre compte, une trace au moins de cette émotion ne se serait pas glissée dans le long récit qu’il nous a fait de sa vie ? Avec toute leur fâcheuse maladresse littéraire, ses Souvenirs nous laissent pourtant deviner ses goûts principaux, tout de même qu’ils nous permettent d’entrevoir son plus ou moins de sympathie pour les diverses personnes qu’il a rencontrées : en matière de religion, nul moyen pour nous de connaître ses sentimens intimes, ou plutôt de savoir de quelle nuance spéciale d’admiration respectueuse ou d’aigre rancune à l’égard de l’esprit chrétien se tempérait, chez lui, l’ « agnosticisme » officiel de son parti. En fait, tout porte à croire que jamais, depuis son enfance, cet homme d’action n’a eu le temps de se former une opinion individuelle sur des sujets qui, d’ailleurs, se trouvaient être d’ordre trop « théorique » pour avoir de quoi séduire une tête et un cœur aussi exclusivement attachés aux seules réalités positives : conjecture d’autant plus probable que, dès son enfance, le futur chef socialiste reconnaît avoir été instruit, par une mère « incrédule, » à ne pas attacher plus d’importance qu’il convenait aux leçons théologiques du pasteur luthérien de Wetzlar.

Tout au plus voyons-nous, à plusieurs reprises, qu’Auguste Bebel craint et déteste passionnément les « Jésuites, » — par où il n’est pas éloigné d’entendre tous les représentans de l’Église catholique. C’est ainsi que, notamment, il attribuerait volontiers toute la responsabilité des faiblesses et des vices de son ennemi J. B. Schweitzer au hasard qui a fait de ce dernier, dans sa jeunesse, l’élève d’un collège dirigé par des prêtres. Et cependant, son récit nous révèle que lui-même, personnellement, a conservé un souvenir excellent de la seule occasion qui l’ait mis en contact avec le clergé et les institutions catholiques. Écoutons-le nous raconter ce curieux épisode de son voyage professionnel d’apprenti-tourneur à travers l’Allemagne :


A Fribourg-en-Brisgau, j’ai passé un été tout à fait agréable. Fribourg est, par sa situation, une des plus belles cités allemandes. Ses bois sont ravissans, et de tous les côtés, alentour, s’offrent des lieux d’excursion plus délicieux les uns que les autres. Ce qui me manquait seulement, s’était la possibilité de me lier avec des jeunes garçons de ma sorte. Si bien