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Mais il n’en reste pas moins que, de quelque cause qu’il ait pu lui venir, son fâcheux état de « débilité corporelle » a été le seul obstacle qui l’ait empêché de suivre son père, son oncle, et une nombreuse lignée d’ascendans paternels dans une carrière aussi différente que possible de celle où l’attendaient bientôt la gloire et la fortune que l’on sait.

Il est vrai que jadis son père, sur son lit de mort, avait instamment demandé qu’il ne fût fait, en faveur de ses deux fils, aucune démarche qui risquât de constituer pour eux l’engagement de se vouer ensuite au métier militaire, — le pauvre homme n’ayant trouvé que souffrances et déboires, pour son propre compte, dans une longue pratique de ce métier où, sans doute, il n’avait eu à apporter que d’humbles et banales qualités de conscience professionnelle. Mais déjà sa veuve, ne tenant nul compte de ce vœu suprême du sous-officier moribond, avait expressément consenti à faire élever ses fils comme de futurs soldats ; et le récit d’Auguste Bebel nous laisse deviner avec quelle ardeur, dès son enfance, le futur député socialiste lui-même avait toujours aspiré de toute son âme à pouvoir satisfaire dans les rangs de l’armée prussienne son double besoin inné d’obéissance et de commandement. Tout le long de son apprentissage d’ouvrier-tourneur, à Wetzlar comme pendant les diverses étapes de son voyage traditionnel à travers l’Allemagne, le fils de l’ancien sergent d’infanterie Jean-Gottlob Bebel a continué de maudire la malencontreuse faiblesse physique à laquelle il devait d’avoir été, par deux fois, déclaré incapable d’aucun service militaire ; et je ne serais pas étonné que son regret de n’avoir pas pu entrer au régiment l’eût poursuivi en secret bien plus longtemps encore, jusqu’au jour où, vers 1863, il a enfin découvert la possibilité pour lui d’enrôler et de commander une armée nouvelle, faite de la foule innombrable des travailleurs allemands.


Mieux nourri par sa mère, ou du moins plus vigoureux durant ses années de jeunesse, Auguste Bebel serait sûrement devenu un sous-officier exemplaire, ou bien peut-être un très remarquable officier supérieur, selon que les circonstances lui auraient ou non permis d’acquérir, à la caserne, un degré d’instruction et de culture générale équivalent à celui qu’il allait acquérir, dans la vie civile, sous l’influence de ses propres lectures et des leçons de son maître Liebknecht. En tout cas, il aurait servi et défendu de son mieux non seulement cette cause de la patrie allemande qui devait lui rester chère à jamais,