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Les tragiques le pratiquèrent habituellement et, dans ses Problèmes, Aristote en a laissé la théorie et l’analyse raisonnée. « Genre renouvelé, » disons-nous, et plus d’une fois : par Beethoven le premier, dans la scène finale, et plus belle encore peut-être que celle-ci, de son Egmont ; ensuite par le Weber du Freischütz, par le Mendelssohn du Songe d’une nuit d’été, enfin, plus près de nous, et chez nous, par le Bizet de l’Artésienne. Ainsi Beethoven, à côté de la musique et de la symphonie, ou plutôt en face d’elle, accorde une place, un rôle au verbe pur. En un sujet sérieux, tragique même, il fait mieux que tolérer le dialogue, il le favorise. Peut-être cette faveur insigne suffirait-elle à justifier, dans une certaine mesure, un genre plus léger et qui se pique moins de vraisemblance, cet opéra-comique, longtemps nôtre, et que nous renions aujourd’hui.

Que de prétendues vérités, à chaque instant démenties par un génie que rien ne saurait abuser ni contraindre ! Nous avons tous entendu dire, et quelques-uns de nous l’ont redit, que le mouvement, l’action théâtrale n’est pas matière à musique. Alors, que penserons-nous du célèbre quatuor, appelé, d’après le geste qui l’accompagne ou le domine, le « quatuor du pistolet ! » Précipité, haletant, il est moins fait de mélodies ou de phrases, que d’apostrophes et presque de cris. Furieux, mais sans incohérence, ni la brièveté, ni l’emportement n’en exclut l’ordre, la composition même. L’ensemble est symphonique. Un trait d’orchestre çà et là le traverse de sa chute, ou plutôt de son écroulement. Des éclairs le sillonnent, éclairs de menace et de haine, qui se changeront, dès qu’aura retenti la trompette libératrice, en lueurs d’espoir et d’amour. Pas d’action en musique ! Ici pourtant, quelle action, au paroxysme ! et quelle musique la suit et la représente ! Ce n’est qu’un raccourci, mais à la Michel-Ange. Ce n’est qu’un moment, et qui ne s’arrête pas ; mais, dans toute l’histoire du drame lyrique, s’il n’y en a pas de plus rapide, il n’y en a pas de plus beau.

Si maintenant, après la forme ou les dehors du chef-d’œuvre, on en voulait définir le fond ou l’âme, on l’appellerait un opéra féminin, conjugal et libérateur. La musique n’a pas tracé de plus noble, plus héroïque portrait de femme et d’épouse, que celui de Léonore. Femme, épouse, on le sait, le grand cœur de Beethoven était si pur, qu’il ne sépara jamais les deux mots en ses rêves, en ses espérances d’amour. Le musicien de Fidelio ne pardonnait pas le choix d’un héros libertin au musicien de Don Giovanni. Beethoven a rassemblé dans l’unique figure de Léonore tous les traits de son idéal féminin. Le titre d’un recueil ou d’un cycle de lieder du maître : A la bien-aimée absente,