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théâtre, les « déblayer. » Mozart ne s’en fait pas faute : c’est l’affaire, pour lui, de quelques mesures de ce récitatif alerte, courant, qu’on nomme recitativo secco. Le Beethoven de Fidelio n’en use jamais. Il traite les passages en question d’une autre, ou plutôt de deux autres manières : le plus souvent par la parole nue, mais quelquefois aussi (voir, à la fin de l’opéra, le dialogue du geôlier et du ministre) dans un langage musical où la symphonie véritable a sa part. Alors on pourrait dire de l’unique opéra beethovenien ce que l’Apôtre dit des chrétiens et de lui-même, dans le Christ : « In ipso vivimus et movemur et sumus. » Le drame « vit dans la musique même, il s’y meut, il y y est tout entier. »

Mais non pas toujours et seulement dans la symphonie. Il n’y a pas un génie plus libre que celui de Beethoven, plus affranchi des préjugés, des conventions arbitraires, passagères aussi, que de temps en temps on prétend nous imposer comme les lois, enfin connues et désormais fixées, de l’avenir. « Tu ne chanteras pas. » Tel est, vous le savez, le premier des nouveaux commandemens qu’on impose à la voix aujourd’hui. Dans Fidelio, malgré la symphonie, au milieu de la symphonie, la voix chante. Pas une fois le grand symphoniste dramatique ne manque à la « vocalité ; » plus d’une fois il se plaît à la vocalise. Vocalise expressive et non pas seulement ornementale (partie de Marceline, dans le quatuor en canon) ; vocalise pathétique (adagio du grand air de Léonore), ce sont là, bel et bien, des vocalises. Autre article prohibé de nos jours, que ne s’interdit point Beethoven : la répétition. L’allegro du grand air de Léonore comporte la reprise classique. De la redite même, verbale ou mélodique, Beethoven entend ne pas se priver. Une note, une harmonie changée vient donner au mot qui persiste une expression différente. La même phrase musicale, passant de bouche en bouche, emprunte à chaque personnage, à chaque voix, un sens nouveau : témoin le thème en canon du quatuor. Faut-il aller chercher un autre témoin, que certains récuseront peut-être avec dédain, mais que nous continuons de croire ? Alors nous citerons la phrase célèbre du grand duo des Huguenots, entonnée par les deux amans tour à tour sur des paroles qui n’ont rien de commun : Raoul : « Tu l’as dit ! Oui tu m’aimes. » — Valentine : Ah ! c’est la mort ! Il n’est plus d’avenir ! » Aussi bien, c’est l’un des privilèges de la musique, et l’un des plus mystérieux, qu’elle sache concilier ainsi la diversité, voire la contrariété des sentimens, avec l’identité des sons.

Respectueuse du chant, la symphonie, dans Fidelio, n’attente jamais aux droits de la parole. Peut-être plus que dans le finale de la