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il se mit au travail. Travail malaisé, comme en témoignent ses lettres d’alors. Il écrit à l’archiduc Rodolphe (janvier ou février 1814) : « On veut redonner mon opéra Fidelio. Cela me donne beaucoup à faire ; de plus, malgré ma bonne mine, je ne me sens pas bien. » Quelques jours plus tard, au comte Franz de Brunswick : « Mon opéra va être remis en scène, mais j’y fais beaucoup de choses nouvelles. J’espère que tu vis heureux... En ce qui me concerne, juste ciel, mon royaume est dans l’air. Comme le vent souvent, les sons tourbillonnent, et tout tourbillonne aussi dans mon âme. » Autre billet à Treitschke : « Je viens de lire vos améliorations au texte de l’opéra. Elles me décident davantage à tenter de relever ces ruines désertes d’un vieux château. » Enfin, à Treitschke toujours : « Je vous assure que cet opéra me vaudra la couronne des martyrs. Si vous ne vous étiez pas donné tant de mal pour lui et si vous n’aviez si parfaitement remanié tout, — ce dont je vous serai éternellement reconnaissant, — j’aurais de la peine à me surmonter. Vous avez sauvé ainsi quelques bonnes épaves d’un navire échoué. » Le navire allait reprendre la mer, le château se relever de ses ruines. Le 23 mai 1814, grâce à l’heureuse inspiration d’une poignée de comédiens, Fidelio renaissait une troisième fois, et, cette fois, pour ne plus mourir.

Sur cette période de reprises et de retouches successives, le livre de M. Kufferath abonde en documens authentiques et souvent inédits. C’est une étude intéressante, que l’analyse comparée des trois Fidelio. Historiques ou critiques, certains détails sont précieux ; telle anecdote est pittoresque, et telle autre presque émouvante. Après l’échec (en 1805) du premier Fidelio, quelques amis de Beethoven estimèrent que, moyennant certaines corrections et suppressions, l’opéra pourrait trouver une fortune meilleure. Ils résolurent de se réunir un soir, avec Beethoven bien entendu, chez son ami le prince Lichnowsky, pour procéder à la révision nécessaire. Un jeune ténor, nommé Rœckel, de réputation récente, et qui devait reprendre le rôle de Florestan, nous a laissé le récit de la séance : « Le piano, » écrit-il, « était tenu par la princesse Lichnowsky, qui était pour Beethoven comme une seconde mère. Sur son violon, le violoniste Clément (à qui est dédié le concerto en et qui était doué d’une mémoire phénoménale), jouait par cœur les parties d’orchestre que le piano ne pouvait rendre ; enfin le ténor Rœckel et le baryton Mayer complétaient tant bien que mal la lecture en exécutant les parties de chant. Beethoven était comme un patient que le chirurgien torture. Ses amis se doutaient bien que la lutte serait terrible et qu’on ne lui arracherait pas sans difficulté l’amputation