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lieu d’être un habile homme de théâtre, eût-il, dans une œuvre de longue haleine, développé cette figure (celle de Léonore), dans toute l’ampleur qu’elle comporte, il n’eût pu lui donner plus de relief et d’accent qu’elle n’en a dans ce modeste scénario destiné à la musique. » Pour le coup, c’est à savoir. Aussi bien M. Kufferath ajoute : « Et cela est si vrai, qu’il a suffi de la musique de Beethoven pour en faire l’une des plus nobles figures du théâtre lyrique. » A la bonne heure. Mais cet : « il a suffi » ne nous paraît pas suffire encore. Pour créer cette figure et ce chef-d’œuvre, il a fallu la musique de Beethoven. Celle de Gaveaux d’abord, puis celle de Paër, y avaient l’une et l’autre échoué. « Votre ouvrage me plaît : je veux le mettre en musique, » aurait dit un jour Beethoven à Paër. En réalité, M. Kufferath le démontre, il ne le lui a jamais dit et n’a pas pu le lui dire. C’est dommage. Le mot faisait à Beethoven, à la musique de Beethoven, sa place et sa part. « Simple histoire d’une âme. » Tel est, je crois, le sous-titre de je ne sais plus quel ouvrage édifiant. Laissons à Bouilly le mérite d’avoir trouvé le sujet d’une histoire de ce genre ; c’est au seul Beethoven que revient la gloire de l’avoir racontée. Au surplus, la musique, — la vraie, la belle, — a besoin de peu de chose. Elle se contente de Fidelio, comme de la Flûte Enchantée ou de Cosi fan tutte. Dans ses vrais chefs-d’œuvre, les paroles ne sont que la lettre ; elle est l’esprit.

La lettre, autrement dit le texte original de la Léonore de Bouilly, fut reprise et remaniée pour Beethoven par un certain Sonnleithner, un moment directeur du théâtre An der Wien. Esquissée en 1803, la partition était achevée dans l’été de 1805. Le 20 novembre de la même année, dans Vienne occupée par nos troupes, avait lieu, sans le moindre succès, la première représentation de Fidelio. Du premier Fidelio, faut-il ajouter, et celui-là ne fut joué que trois fois. Revu et corrigé, l’ouvrage reparut le 29 mars 1806, et ne réussit guère mieux : à six représentations, au lieu de trois, se borna sa nouvelle carrière. Pendant huit ans alors, autour de son chef-d’œuvre méconnu, Beethoven irrité fit le silence, et quand le jour arriva de la juste revanche, il n’en fut pas lui-même l’auteur. Au début de 1814, un groupe d’artistes du théâtre de la Porte de Carinthie, admirateurs du maître, lui demandèrent la permission de reprendre, à leur bénéfice, ne fût-ce que pour un soir, l’opéra qu’ils n’avaient point oublié. Beethoven y consentit, sous la seule condition qu’on lui laisserait le temps de retoucher encore une fois son œuvre, paroles et musique. Avec le concours d’un collaborateur intelligent, nommé Treitschke,