Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Léonore, ne respirant que le salut de son époux, se présente, sous les sombres vêtemens et sous le nom d’un orphelin, Fidelio, à Rocco, le geôlier. Entrée à son service, elle a vite gagné sa confiance. Elle y ajoute même, non sans un peu d’embarras, la tendre sympathie de la fille de Rocco, Marceline, que le pseudonyme et le costume du jeune porte-clefs abusa. Or voici que don Fernando, le ministre, annonce sa venue prochaine. Craignant que Florestan parle et le perde, Pizarro décide qu’avant ce soir, et de sa main, le prisonnier mourra. Le geôlier est envoyé dans le cachot du malheureux, pour déblayer l’orifice d’un puits qui sera sa tombe. Fidelio doit aider, il aide à la sinistre besogne. Impatient de sa vengeance, Pizarro survient ; mais, entre Florestan et lui, Léonore se précipite, braquant un pistolet sur le meurtrier interdit. Au même instant, la trompette sonne au dehors, et vous savez la fin : l’entrée du ministre, la découverte du crime, la punition du criminel, et le triomphe d’un héroïque et conjugal amour.

On a fait trop de cas, et trop peu, du livret de Fidelio. Les uns n’y ont trouvé qu’un exemple tiré de la morale en action, voire un sujet de pendule. D’autres, après l’avoir dédaigné, sont revenus de leur mépris. En appelant de lui-même à lui-même, notre confrère et voisin de Revue, M. de Wyzewa, « ne craignait pas, ou ne craignait plus d’écrire : « Un sujet idéal, le plus beau qui soit : un cœur de femme n’ayant à faire que d’être ému, et ayant à l’être de toutes les émotions possibles : l’amour, le regret, la crainte, l’espoir, la haine, la supplication, la feintise, la reconnaissance, la piété, la passion sensuelle triomphante. Voilà quelques-uns des sentimens que le livret de Fidelio a octroyés à Léonore. Voilà pourquoi Beethoven a choisi ce sujet et l’a refait trois fois, paroles et musique[1]. » Le dernier historien de Fidelio, celui dont le livre nous occupe aujourd’hui, va plus loin encore : « Bien qu’elle ne porte point la couronne des reines ni le voile des princesses, Léonore se hausse au rang des grandes héroïnes. Elle est l’Antigone, elle est l’Electre de la piété conjugale. Electre en face d’Oreste, Antigone devant Créon, Alceste aux genoux d’Admète, ne sont pas plus émouvantes que Léonore luttant contre sa tendresse et les faiblesses de son sexe, pour achever l’œuvre de délivrance que son héroïque amour a juré d’accomplir. » Alceste ! Electre ! Antigone ! Voilà tout de même de bien grands noms ! Sans compter que M. Kufferath nous dit encore du librettiste : « Eût-il été un grand poète, au

  1. Beethoven et Wagner ; Paris, Perrin et Cie, 1898.