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de rudesse ; Mme Du Minil aura une agonie moins réaliste. Avec ce léger travail de mise au point, tout sera pour le mieux. Le grand succès d’interprétation a été pour Mme Lara qui a joué le rôle d’Yvonne avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité. N’oublions pas de dire en terminant que Mlle Jeanne Paul Ferrier a été pour cette pièce la collaboratrice de son père. Mettons-la donc de moitié dans tous les complimens que nous avons adressés à M. Paul Ferrier.


Je suis heureux que les loisirs de la saison d’été me permettent de m’acquitter envers un auteur dramatique qui n’a rien d’un professionnel et qui a été amené au théâtre par des voies peu ordinaires. J’espère que les générations nouvelles n’ont pas oublié M. Joseph Fabre, et ne le confondent ni avec l’auteur de la Vie publique, ni avec l’entomologiste. Ce Fabre-là fut naguère professeur de l’Université. Il y enseignait brillamment la philosophie. Il était éloquent. C’était le temps, il y a de cela une trentaine d’années, où l’éloquence et l’enseignement de la philosophie conduisaient tout droit à la politique. Platon, qui chassait les poètes de sa république, conseille d’en remettre le gouvernement aux philosophes. M. Joseph Fabre fut élu sénateur. Il fut l’un des membres les plus estimés de la haute assemblée. C’était un de ces hommes politiques qui ne sont à aucun degré des politiciens. Ils sont rares, et il arrive que leur carrière politique ne soit pas très longue. Ce fut le cas pour M. Joseph Fabre. Redevenu simple citoyen, avec d’autant moins de rancœur et d’amertume qu’il n’avait jamais eu aucune ambition personnelle, il reprit son enseignement, rouvrit ses livres et désormais se consacra exclusivement à l’idée qui depuis longtemps le possédait et dont il poursuivait la réalisation avec un doux entêtement.

Car il avait une idée. Et cette idée, qui eût fait honneur à tout Français, avait en outre chez lui la beauté d’un paradoxe. Notez en effet que si M. Joseph Fabre enseignait à ses élèves la philosophie vaguement spiritualiste qui était de mode dans l’Université d’alors, — et qu’on a eu lieu, depuis, de regretter, — il avait pour son compte un Credo philosophique singulièrement plus précis. Disons, d’un mot, qu’il était de ceux qui continuent le courant d’idées venu du XVIIIe siècle. Il répudiait le miracle, il croyait au progrès indéfini de l’humanité, il tenait pour les peuples contre les prêtres et les rois, il ne doutait pas de leur prochaine réconciliation et il attendait de l’institution de la République l’avènement sans retard du bonheur universel. Or ce libre penseur, — ou, comme il dit ce libre croyant,