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Rose est le secret de Polichinelle. Si vous préférez, c’est un secret dans lequel il y a trop de blanchisseuses. Aussi serons-nous stupéfaits, en apprenant, au second acte, que la fable grossière et pieuse inventée par Yvonne a été universellement admise.

Ce second acte, à son début, nous a fait souvenir des beaux temps du Théâtre-Libre. C’est dans une pièce de M. Georges Ancey, et, si je ne me trompe, dans l’École des Veufs, que la toile se levait sur une scène d’enterrement : le rendez-vous à la maison mortuaire. Chacun des conviés arrivait portant qui un bouquet et qui une couronne de perles, et défilait pour serrer les mains aux personnes de la famille. Ainsi au second acte d’Yvonîc. C’est le retour du cimetière. Chacun présente au patron Kerhostin des condoléances dont vous devinez l’écœurante banalité, et s’esquive : on ne s’attarde guère dans les maisons qu’habite la tristesse. Et déjà l’autre malheur de Kerhostin, la faute de sa fille, fait l’objet de toutes les conversations.

Alors commence le calvaire d’Yvonne. Nous allons en gravir, un à un, les degrés avec elle. C’est d’abord la réprobation de tout le pays, un pays où les mœurs sont restées très austères et qui n’a pas pour la fille qui a « fauté » cette indulgence pourtant fréquente dans les milieux voisins de la nature. Puis la colère de Kerhostin. Il ne voit qu’une solution, ce brave homme, dans sa droiture et son bon sens : que le séducteur épouse sa complice ! « Son nom, madame ! » Mais Yvonne se laisserait fendre le crâne plutôt que de livrer ce nom. Et ce n’est encore rien que ce courroux du père ; il y a pis : le désespoir du fiancé. Car Yvonne a un fiancé, Yan, qui ne sait rien, et continue d’avoir dans sa promise la foi à laquelle d’ailleurs elle a si bien droit. Elle va lui faire, à lui aussi, le conte absurde et désolant, et, comme il se refuse à croire à cette chose monstrueuse et folle, elle lui mettra sous les yeux la preuve : le berceau ! Ainsi elle recule les bornes de l’humaine souffrance.

Cette progression est menée avec la sûreté de main qu’on peut attendre d’un vieux routier de la scène tel qu’est M. Paul Ferrier. Mais en outre l’auteur a indiqué une nuance de sentiment très finement démêlée et en laquelle, à mon gré, réside tout le pathétique de la situation. Elle consiste en ceci qu’Yvonne joue avec ferveur son rôle de fille coupable, mais sans toutefois pouvoir en prendre la mentalité. A l’instant même où elle s’accuse, se dénonce, se montre au doigt : « Me, me, adsum qui feci ! » la conscience qu’elle a de son honnêteté empêche qu’elle ne s’humilie et ne courbe la tête. Elle a endossé le crime, c’est entendu ; mais elle répudie la honte. S’étant donnée pour