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Gaspard de Crayer (né en 1582 ou 1S84) qui vint s’installer dans la ville vers 1648 et y vécut jusqu’à sa mort(1669). Echevins, doyens de corporations, clergé se disputèrent son pinceau facile, sûr, aimablement banal. Les magistrats lui avaient même demandé pour l’Hôtel de Ville huit grandes peintures racontant la Vie de Charles-Quint et Descamps parle avec respect de ce « poème épique » où sans doute Crayer pasticha Rubens. Son Ecuyer de Totila reconnu par saint Benoit (église Saint-Pierre) est une œuvre très rubénienne aussi qui a poussé au noir ; de même l’ample toile du Petit Béguinage : la Vierge avec saint Bernard, saint Alphonse, saint Rupin et saint Dominique s’est fortement assombrie. Au surplus Grayer débutant, comme tant de Néerlandais et de Flamands, était épris des ombres caravagesques et deux de ses tableaux du Musée racontent cette inclination de jeunesse : Tobie et l’ange Raphaël et le Jugement de Salomon que les Gantois possédaient avant l’arrivée de Crayer dans leur ville. (Dans cette œuvre lourdement solennelle l’enfant mort sur les gradins du trône est un morceau magistral.) Plus tard le mérite de Crayer fut presque tout entier dans la clarté d’un coloris blond et transparent et la plus heureuse de ses œuvres gantoises à cet égard est, pensons-nous, sa Vision de saint Augustin au Musée. Le pittoresque de sa Rédemption des esclaves chrétiens (église Saint-Jacques) est bien conventionnel, et la noblesse de son Couronnement de sainte Rosalie (Musée) vide et inerte. La royauté débonnaire de Crayer est si envahissante à Gand qu’elle accable. La Résurrection, le Martyre de Saint Laurent, la Notre-Dame du Rosaire au Musée, la Trinité à Saint-Michel, la Vierge intercédant pour les âmes du Purgatoire à Saint-Jacques, ne sont que tableaux de fabrique. Comme Rubens, Crayer a créé un monde ; seulement, on s’y ennuie vite. Il eut des disciples gantois, et notamment Antoine van den Heuvel (né vers 1600, mort en 1677) et Jan van Cleef (1646-1716). Le premier vécut longtemps en Italie et conquit une réputation de copiste. Sa Vierge au Rosaire de l’église Saint-Pierre est de la plus foncière vulgarité ; son Incrédulité de saint Thomas à Saint-Michel est pire ; son Couronnement d’épines de Saint-Jacques répète en grand la composition caravagesque de Jean Janssens. Nous avons vu qu’on le jugea digne en 1662 de nettoyer Adam et Eve du polyptyque de l’Agneau. Des nombreux tableaux de van Cleef qu’on