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l’Agneau fut entre ses mains. Par malheur, le chef-d’œuvre passa par d’autres mains. Lancelot Blondeel et Jan Scorel le restaurèrent en 1530 ; Van den Heuvel nettoya Adam et Eve en 1632 ; un certain Laurent travailla à la Vierge, en 1825, à Dieu le Père, à saint Jean-Baptiste, à l’Agneau mystique en 1828. Dans cette dernière partie, le premier prophète en houppelande lilas est fort retouché ; la Fontaine de Vie est quasi repeinte, un diacre en dalmatique devant saint Liévin a le col de sa chasuble refait, des vernis douteux répandent inégalement leur lustre. Les volets de Coxcie se couvrent par endroits de petites chancissures. Les gardiens du chef-d’œuvre attendent-ils avec une douce passivité les secours de la Providence ?... Le Retable dut affronter tour à tour les flammes de l’incendie (en 1691 et en 1821), la convoitise des amateurs princiers : Philippe II et Elisabeth d’Angleterre, le vandalisme des briseurs d’images, la formidable manie spoliatrice de la République, une et indivisible. Mais en 1815 toutes les parties originales du polyptyque se trouvaient à Gand, — ce qui ne veut pas dire que toutes fussent sur l’autel de Josse Vyt, Adam et Eve ayant été relégués dans les combles pour avoir offusqué Joseph II. L’indigence de l’église, l’ignorance des marguilliers, la bêtise de soi-disant connaisseurs, la roublardise d’un marchand consommèrent en quelques jours un démembrement évité depuis des siècles. Le marchand Niewenhuys paya mille francs pièce les panneaux qui sont à Berlin ; les fabriciens croyaient être bien payés ; les antiquaires avaient déclaré que cent francs par panneau serait un beau prix ! En 1861, Adam et Eve, tirés de leur grenier grâce au comte de Laborde, entrèrent au Musée de Bruxelles... Gand vient d’élever un monument aux frères van Eyck, et l’on a prétendu que les fêtes inaugurales affectèrent des allures expiatoires. Nous pouvons espérer que désormais les intentions de Josse Vyt seront respectées. De son vivant, le mécène avait fait don à l’église de plusieurs terres pour subvenir aux soins que réclamait le chef-d’œuvre et payer les offices qui devaient être célébrés dans la chapelle de l’Agneau. Admirable souci ! Avec ses marbres blancs et noirs, ses peintures, ses merveilleux tombeaux, Saint-Bavon est une église somptueuse ; on devine des soins jaloux dans sa toilette, et loin de nous la pensée qu’on se désintéresse de (‘Agneau ! Ceux-là mêmes qui le gardent inspirèrent, je crois, l’idée du monument élevé Huberto et Johanni van Eyck par la