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qui précéda ou suivit. — A l’intérieur, nouveaux triomphes, obtenus peut-être d’une façon moins égale. Dans les groupes d’apôtres, de martyrs, de chevaliers, de pèlerins, d’ermites, les peintres tentent d’individualiser chaque personnage par l’attitude et la physionomie. Pour la première fois et avec la plus surprenante vérité, la peinture éternise des raccourcis d’humanités diverses : ermites aux cheveux crépus, pèlerins joyeux et bons vivans, chevaliers en grand arroi. Parmi ces derniers, il y a sûrement des portraits ; pourtant un seul personnage nous semble identifié avec quelque certitude : Jean de France, duc de Berry : il figure dans le volet des chevaliers du Christ ; on l’a reconnu à son nez camus, son bonnet de fourrure orné d’une agrafe d’orfèvrerie et le joyau qui brille sur sa poitrine[1]. Autour de l’autel, dans le groupe des apôtres et des vrais serviteurs de l’Église, on sent que le peintre opère avec un petit nombre de modèles ; pour les varier, il a recours à des méthodes archaïques et doit se contenter d’atténuer ou d’exagérer les caractères de quelques types donnés.

Les masses sont plus compactes aussi ; l’air ne circule pas librement entre ces apôtres farouches et ces prélats harnachés d’orfèvrerie. L’uniformité physionomique est plus sensible encore dans les types féminins. C’est le même modèle qui sert pour la Vierge de l’Annonciation, la Vierge de l’intérieur, la figure d’Eve et les deux saintes femmes qui suivent les Ermites ; et c’est ce même type que les auteurs du Retable utilisent, en l’idéalisant avec d’inexplicables intuitions classiques, pour les Anges musiciens et chanteurs. A côté de ces enfans somptueux, Adam et Eve étalent la misère terrestre. Et à voir le premier couple, si véridiquement et scrupuleusement humain, la stupéfaction des premiers spectateurs fut telle que tout de suite la chapelle de Josse Vyt s’appela la chapelle d’Adam et Eve. — Quant au paysage, après cinq siècles, il continue de nous enchanter à nous faire pleurer. Quelle réalité attendrissante et sans réticence dans ces fleurettes qui émaillent la douce prairie du sacrifice, — toutes fleurettes de notre sol, — et dans les oiseaux qui filent, tournoient, planent, nichent dans la vallée où cheminent les bons pèlerins des Flandres ! Et pourtant, c’est une Flandre idéale, qui vit dans le chef-d’œuvre. Amour, rêve, énergie surhumaine

  1. Comte P. Durrieu, Quelques portraits historiques des débuts du XVe siècle, Gazette des Beaux-Arts, 1910.