Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle du monde moderne n’a pas trouvé son champ définitif[1]. Les miniatures sont faites pour la joie égoïste des princes et grands seigneurs ; les peintres de taveliaux comme Broederlam et Malouel disposent de pauvres moyens techniques ; la peinture murale redoute les expressions nouvelles. En vain cherche-t-on des modèles à méditer. Le plus difficile, autant dire tout, reste à faire. Les frères Hubrecht et Johannes d’Eyck-sur-Meuse seront les héros d’une impossible aventure.


Deux citations dans les comptes de Gand, une mention dans un testament, — c’est à quoi se réduisent les textes contemporains de Hubert et relatifs à l’aîné des deux frères. Les échevins lui payèrent des travaux en 1424-25 ; l’année suivante, ils offraient un don en argent à ses élèves ou varlets, et la même année il est dit dans le testament de Robert Poortier et de sa femme Avesoete’s Hoegen qu’on placera dans leur chapelle mortuaire de l’église Saint-Sauveur une image de saint Antoine détenue par Meester Hubrechte den scildere (maître Hubert le peintre) avec divers autres ouvrages destinés à cette chapelle. De nombreux scilders et pingers « œuvraient » dans la cité vers le même temps que l’aîné des van Eyck : Pierre van Beervelde, Willem van Axpoele, Jan Martins, Willem van Lombeke, dit de Ritsere, grand favori de la maison comtale, de l’échevinage et des corporations. Des documens d’archives parfois prolixes sauvent ces noms qu’aucune œuvre ne transmet. Pourquoi cette abondance de renseignemens sur ces « maîtres, » — qui sont surtout peintres d’étendards et étoffeurs de statues, — et pourquoi ce silence autour du créateur de la peinture flamande ? L’artiste est étranger à la ville ; peut-être ne fait-il pas partie de la gilde des peintres, et celle-ci, comme d’autres corporations artistiques du pays, connaît les abus de la tyrannie protectionniste. Ne forçaient le cénacle que les Gantois de naissance possédant droit de bourgeoisie et consentant pour leur entrée à donner six livres de gros, à offrir un plat en argent et à payer un banquet au doyen et au juré. Cette ville républicaine s’offrait le luxe d’une ploutocratie de peintres.

  1. Les frères de Limbourc dessinent d’admirables architectures dans leurs Heures de Chantilly ; mais leurs fonds sont sans profondeur ; ils ignorent la perspective aérienne, n’ont aucune liberté dans le rendu des arbres, peignent indistinctement toutes les rivières en argent.