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de la Vézère et de l’Arzème. La nonchalance de la plume et son habileté lente sont assez bien de qui a, quelque temps, cessé d’écrire et s’y remet. Surtout le ton des phrases marque l’attendrissement qu’éprouve un jeune homme sensible, à rentrer chez soi, dans l’horizon natal qu’il découvre à la faveur de l’absence et du retour. Latapie, l’inspecteur des manufactures, qui a vu Joseph Joubert à cette époque-là, note qu’il était fort curieux de son pays où, disait-il, les mœurs périgourdines se conservaient mieux, avec leur singularité, que dans le resté de la Guyenne. Il aimait les chansons populaires ; et il observait que celles des laboureurs étaient lentes et pesantes, celles des mariniers plus gaies, celles des bergers plus tendres.

Voici le petit roman : « Il y a trois choses dans mon pais que le temps seul y blanchit : le lin, le chanvre et les cheveux... » 0n voit encore, aux bords de la Vézère, de grands champs où pousse le chanvre et des prés de lin aux fleurettes bleues qui se fanent ; les brins, qui sèchent au soleil, blanchissent. Autrefois, à Montignac et dans les environs, il y avait des fabriques de fil et de toile. Et, sur les tempes de sa mère, Joubert avait aperçu les cheveux qui devenaient blancs... « C’est à son vêtement de toile blanche que le jeune solitaire reconnoissoit depuis cinq ans chaque matin une jeune fille sur le sommet éloigné de l’Arzéem. Les yeux accoutumés aux grands intervalles aperçoivent au loin : et le regard de l’homme est plus perçant quand il considère une femme. Il y a trois mille de distance entre l’Arzéem et le monastère. Le monastère étoit debout sur la pointe d’une colline. On y monte encore par trente chemins, monumens de cent mille orages. Tous ont été creusés par des ravins. C’est le lit des torrens où l’homme pose le pié aussitôt que les torrens ont passé, en coulant du haut du ciel sur la colline, de la colline dans la plaine et de la plaine dans l’Avezer et de l’Avezer dans l’Océan. — O vous que je vais célébrer et dont je ne scais pas même les noms, je ne vous en donnerai pas, jeunes amans ! Qui pourroit souffrir le changement du nom de son amant et qui pourroit souffrir le changement du nom de son amante ?... Aïons pour les morts cette pitié de ne rien faire de ce qui eût pu les affliger s’ils eussent pu le prévoir. Mille fois on m’a raconté cette histoire dans mon enfance ; mais jamais ni les épousées ni leurs mères ou leurs vénérables aïeules (car ces récits étoient les récits des femmes : jamais les