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floraison des seigles. La lune brilloit. L’air le plus pur et le charme qu’on éprouve sur les sites élevés. — Je n’ai jamais eu de bonheur qu’avec toi. »

C’est un cri de chagrin, c’est un cri éperdu dans la solitude. Il y a là un peu de rhétorique ; au moins, de la littérature empruntée. Un jeune lettré qui sort de l’école n’a pas trouvé encore, pour rendre son plus sincère tourment, la simplicité parfaite. La simplicité, il l’a dans le calme, non dans la véhémence : il ne possède pas le langage de la passion et il prend ses phrases dans les livres qu’il vient de lire. Mais que de véritable émoi dans ces lignes ainsi arrangées, coupées brusquement et comme suffoquées !

Mme Joubert n’avait-elle pas écrit à son fils ? Elle employait les argumens de la religion et elle avertissait l’enfant prodigue de songer à la mort, à l’éternel supplice des damnés. Elle employait aussi les tyranniques argumens de la tendresse ; et la tendresse du fils lui répondait avec des larmes. Allait-il se déprendre de la vie qui l’avait enlizé, de la vie du monde, incrédule et voluptueuse, qui vous rend insensé, qui vous tient comme une ivresse ? Des souvenirs passent encore dans son imagination possédée : « La floraison des seigles... La lune brilloit... » Mais, songeant à sa mère, plus tard, il se souviendra de n’avoir jamais eu un vrai attachement que pour elle.

Ce sont les drames secrets de la famille, les misères du sentiment le plus intime. C’est le malentendu éternel des mères et des fils, qui ont l’âme pareille, non la chair et l’esprit. Sans doute se révéla-t-il avec plus de vivacité à cette époque où la philosophie toucha d’abord les jeunes hommes, et les démoralisa, — je veux dire les lança dans les hasards nouveaux, — quand leurs mères n’avaient pas bougé de l’ancienne coutume. Le petit Joubert de vingt-deux ans nous apparaît comme l’un des premiers de ces garçons qu’une aube mauvaise éclaira et sépara de leurs entours. Il a devant lui toute une longue postérité aimante et cruelle.

Joseph Joubert revint à Montignac-le-Comte, petite ville qui le tenait bien et qui mit deux années encore à le laisser partir, petite ville où étaient sa mère et sa maison.

Il arriva tout alarmé, sa tête lui chantant des chimères ; il arriva pour de la joie et de l’ennui. La quiétude n’est pas douce très vite au fol qui vient de l’aventure.,