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rêverie obligeante ?... Et n’est-ce point alors qu’il commença de gaspiller en causeries le trésor de ses idées, au lieu de l’enfermer dans des livres, et qu’il se mit à ne vouloir qu’être meilleur et plus exquis, au détriment de son travail d’écrivain ?... Sans nulle fatuité, d’ailleurs, mais avec le désir de divertir et d’enchanter un petit nombre de personnes.

Une maison lui fut particulièrement accueillante, celle du baron de Falguière, qu’il avait connu à l’Esquille, et qui, un peu plus âgé que lui, s’étant marié, tenait un bel étal.

Joubert, un jour, envoie à Mme de Falguière un gâteau de Savoie. Il a toujours aimé la bonhomie de tels présens. Et il avait en haute estime « ce mets aux plis doux et savans. ; » Mme de Chateaubriand, plus tard, le taquinera là-dessus et, à la veille de dîner chez les Joubert, écrira : « Pas de gâteau de Savoie, je vous prie. » En retour, elle promettra « du blanc manger, » car Joubert affirmait sa prédilection d’une nourriture légère. Mme de Falguière avait, quant à elle, l’estomac faible ; et Joubert ajoute à son léger gâteau ces petits vers, légers eux-mêmes :


C’est aux esprits sensés et fins
Que l’art doit offrir son ouvrage,
Et les douleurs sont l’apanage
Des estomacs pieux et saints.
On a porté dans ma célule
Ce mets aux plis doux et savans ;
De le garder j’aurois scrupule,
On s’est mépris, je vous le rends.


Sa cellule : sa chambre de l’Esquille. Et n’est-il pas sur le point de tourner au petit poète un peu fade ; de tourner, avec sa soutane, au petit abbé qui donne aux dames de petits vers ; de mal tourner ?

Mme de Falguière s’appelait Anne. Or, un jour de Sainte-Anne, — c’est le 26 juillet ; et ce dut être en 1774 ou en 1775, — Joubert lui adressa ce compliment, mêlé de prose et de vers : « La première chose que j’ai faite, madame (votre grondeur de mari ne m’en croira pas) mais il est très certain que c’est une prière... « Ainsi, le jeune Joubert s’était un peu dissipé : son laïque ami le rappelait à la pratique de la dévotion... « c’est une prière, et même plus longue qu’à l’ordinaire, en faveur de sainte Anne ; c’est aujourd’hui sa fête, quoi que vous en disiez, et je vous envoie mes pièces justificatives. Je me suis donc