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Hormis les heures de classe, le confrère laïque allait et venait plus librement. Il portait, je l’ai dit, la soutane. Mais on lui défendait de laisser paraître à ses manches des poignets de linge et de dentelle et d’orner son vêtement noir avec des boutons d’or ou d’argent : « cela ne sied pas à la modestie cléricale. » On le lui défendait : et la défense même signale quelque élégance mondaine. Je ne crois pas que Joubert eût éprouvé de ces tentations. Néanmoins, il a toujours conseillé qu’on fût bien mis, considérant que les hommes assortissent inévitablement leurs manières à leur habit. Et, sans vaine parure, je le vois très attentif au bel aspect de sa soutane, très soigneux de sa personne et capable d’une juste coquetterie.

En tout cas, il sortait : et alors Toulouse l’enchantait par sa beauté rose. Il sortait de l’Esquille par la grande porte sculptée de Bachelier qui donne dans la rue du Taur, non loin de Saint-Sernin. Toulouse était gaie comme aujourd’hui, animée d’ardeur méridionale, et fastueuse. Son parlement faisait sa gloire et sa richesse, son luxe. Les conseillers y menaient un magnifique train de vie opulente et intelligente. Il y avait de splendides fêtes, dans les hôtels que les arts, si bien florissans, avaient ornés ; il y avait une société fort délicate et qui pratiquait à merveille les rites de la conversation française ; il y avait les grâces d’autrefois et de nouvelles libertés, mélange délicieux qui est le charme de l’ancien régime à son déclin, mélange périlleux et qui ne dura guère, mais qui est l’agrément des plaisirs menacés.

Qu’on se figure ce garçon de vingt ans, grave sans doute, mais aimable et qui a pour plaire, avec l’éducation parfaite qu’une mère charmante lui a donnée, de la lecture, de l’esprit, une âme facile et curieuse, une âme qui ne dédaigne rien encore de ce qu’elle voit, de ce qu’elle apprend, une âme hier enclose et que sa prime indépendance amuse.

N’est-ce pas alors qu’il s’éprit, et pour toute sa vie, de l’amitié des femmes ; d’une amitié, a leur égard, infiniment respectueuse et modeste, charmée et qui avait un peu l’émoi de l’amour, l’émoi, non la folie ?... Et n’est-ce point alors, dans une compagnie très fine, qu’il trouva et qu’il adopta, pour le reste de ses jours, ce ton de cérémonie assez galante et assez prude à la fois, ce ton bénin, d’une douceur quasi ecclésiastique, d’une gaieté soignée, d’une légèreté attentive, ce ton de badinage pensif et de