Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chemins qui se terminent dans les champs, les prés et les bois.

Le rendez-vous était, alors comme aujourd’hui, sur le pont. Il fallait qu’on s’y rencontrât sans cesse, le voulant ou non. Et l’on a, dans les petites villes, du loisir ; on baguenaude et l’on bavarde. Les moins occupés attendaient, comme aujourd’hui, les autres en regardant l’eau couler. La petite ville avait, dans les maisons grises, ses retraites de vie cachée ; mais, sur le pont, elle se montrait ; elle épiait le prochain, le commentait ; elle épiloguait en patois sur les nouvelles, sur les potins. Et elle s’exaltait facilement, si le vent tournait au vif.

Il y avait, dans tout cela, une aimable bonhomie et la simplicité que les petites villes gardent du temps où elles étaient encore des villages. La campagne n’est pas loin, la benoîte nature.

La nuit que Chateaubriand naquit, à Saint-Malo, la tempête d’hiver faisait rage : il le raconte ; en outre, c’est la vérité. Pour le 7 mai 1754, jour de la naissance de Joseph Joubert, il nous plaît d’imaginer un pur et beau printemps, parfumé des fleurs de l’arzème, avec un ciel limpide, une raisonnable Vézère, une lumière douce qui ne met pas d’ombres dans le paysage et qui en éclaire tout le détail comme une intelligence attentive.


Les Joubert n’habitaient pas une des maisons opulentes de Montignac, une de celles qui ont à leurs angles, à leurs pignons ou à leurs lucarnes, des motifs de sculpture, des coquilles Louis XIV et, sous le toit, des lignes de pierre dentelée ; mais une bonne maison, dans la rue montante, avec deux corps de logis, l’un au fond d’une cour, l’autre en avant et qui portait (et porte encore) une terrasse à l’italienne.

Les chambres, au premier étage, sont grandes, tapissées de boiseries et ornées de belles cheminées de pierre, très longues, devant lesquelles on pouvait être beaucoup de monde à se chauffer. En bas, une pièce plus grande encore et qui devait être la salle à manger, une cuisine, et puis une resserre ; une écurie, une remise, pour le cabriolet du maître-chirurgien.

La maison est accotée à la colline ; le rez-de-chaussée n’a d’ouverture que sur la cour. Les pièces d’en haut donnent, en arrière, sur un étroit balcon ; et, par un escalier de bois, on grimpe à un jardin qui n’est qu’une bande de sol, taillée dans