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le nom de Casciago, lorsque je lui ai demandé de m’y conduire : Cat’chiago et non Cas’chiago, — en figurant toujours la prononciation à la française.

Sans doute, ces doctes argumens valent ce qu’ils valent. Il n’en est pas moins probable que j’ai fait fausse route. Pour moi, ce qui m’incline le plus sérieusement à le croire, c’est d’abord la distance considérable entre Casciago et Milan, et surtout la présence des cinq lacs, auxquels saint Augustin n’a fait aucune allusion. J’en suis désolé. Ce paysage du lac de Varèse est admirable, et il m’aurait été doux d’associer à son souvenir celui du grand rhéteur pénitent. Vais-je trouver aussi bien à Cassago de Brianza ?


En attendant, je m’arrête à Varèse, dans une villa du XVIIIe siècle, transformée en hôtel.

Elle a très grand air, cette vieille maison seigneuriale, avec son portique, sa cour d’honneur à colonnade, sa façade rococo, peinte en rose du haut en bas, couronnée de balustres, de pots-à-feu et de statues mythologiques. Quand on arrive du dehors, la figure enflammée de soleil, les mains encore sèches de l’air chaud du couchant, c’est une sensation, exquise de s’enfoncer dans la pénombre fraîche des longs corridors, où les pieds glissent, sur la mosaïque polie du dallage, comme sur une rivière gelée.

Tout à coup on débouche dans un vestibule haut et sonore, aussi spacieux qu’une salle des gardes, avec sa cheminée monumentale et ses portes à deux battans. Puis, l’enfilade des corridors recommence, s’infléchit vers une autre aile du vieux logis, déployant, le long des murs, un étrange musée de toiles écailleuses et surannées, dans le goût du Bachiche ou de Pietro de Cortone, de Loutherbourg ou de Joseph Vernet : paysages échevelés et pathétiques, se détachant sur des ciels d’orage, avec des arbres tous pareils, qui font des effets de torses et de racines ; scènes de tragédies, belles personnes pâmées, cascades de seins, gorges renversées, prunelles chavirées et luisantes de larmes sentimentales... Puis, une petite porte s’ouvre, et l’on entre dans une chambre au mobilier gothique, au plafond en nacelle, peint de bouquets de fleurs, comme on en voit dans les keepsakes