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saint Augustin ? — « Non, il n’y a rien, absolument rien. D’ailleurs, le patron de la paroisse, ce n’est pas saint Augustin, c’est saint Eusèbe. » — Et, comme elle a l’air tout étonnée de ma question, je suis obligé de lui expliquer que j’écris un livre sur ce grand saint. Une curiosité brille dans ses yeux, et, tout de suite, elle me demande « où s’achète le livre ? » — Ah ! la parole courtoise que voilà et combien douce aux oreilles d’un auteur ! Tant de politesse m’engage à continuer la conversation. Nous parlons de saint Augustin. La bonne femme veut savoir depuis quand il est mort, et s’il n’était pas le fils de saint Ambroise. Ces questions naïves me prouvent que la mémoire des deux saints, si déformée qu’on voudra, hante encore l’imagination populaire dans cette région du Milanais. Et puis, cet intérêt, aussitôt manifesté au seul nom de saint Augustin, n’est-ce point touchant ? Il y a là une source d’émotion très ancienne et qui n’est pas encore tarie. Il me semble qu’à travers les siècles, par la bouche de cette femme, il me revient un peu de la vénération dont les paysans de Cassiciacum entouraient le rhéteur de Milan, le grand savant chrétien, qui se mêlait à leurs travaux.

Néanmoins, je ne me contente pas des allégations de la jardinière. Par la porte de la sacristie, je pénètre dans l’église de Casciago, et dès le seuil, je reconnais le buste du patron de la paroisse, — un saint Eusèbe barbu, pourvu d’un long nez et d’une mitre colossale, qui attend, sur une planche, le jour de sa fête et la procession solennelle dans les rues du village. Chance providentielle pour moi, le vicaire est en oraison devant le maître-autel. Nous ne tardons pas à causer du motif qui m’amène.

Le jeune prêtre confirme les dires de la paysanne. — « Non, encore une fois, on ne découvre, à Casciago, aucune trace du passage de saint Augustin. Pas une légende, pas une tradition. C’est à Cassago de Brianza qu’il faut aller ! — D’ailleurs, ajoute le vicaire, il y a des raisons philologiques. Cassiciacum a pu se syncoper en Cassiacum, lequel a donné, en latin médiéval, Cassiagum, d’où Cassago. En revanche, le nom de Casciago, tel qu’il est prononcé par les gens du pays (Cat-chiago, prononciation figurée à la française), suppose un son dental-fort dans le nom latin étymologique : Castiagum, avec un t, et non Cassiagum... En effet, c’est bien ainsi que mon cocher a prononcé