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que j’ai sous les yeux aux descriptions sommaires de saint Augustin. Avec un peu de bonne volonté, on peut très bien le voir assis sur l’herbe de cette pelouse et dissertant, entre ses deux disciples, sur l’ordre des choses et la vie heureuse. Ce dauphin de pierre épancherait dans le bassin la veine exténuée du ruisselet, qui, autrefois, coulait dans les bains de Vérécundus et dont le murmure empêchait de dormir le maître Augustin et ses élèves. Mais, sans doute, il n’y a pas une villa, à dix lieues à la ronde, qui ne puisse nous offrir, comme le palais Castelbarco, une pelouse encadrée d’arbres et un ruisseau canalisé. Le plus embarrassant, c’est que, de quelque côté que l’on se tourne, il est impossible de ne pas apercevoir les lacs. Or, saint Augustin n’en a point parlé dans ses Dialogues. Que cette omission serait surprenante de sa part ! Il a noté une foule de détails extérieurs, de circonstances fortuites, qui nous aident à reconstituer la physionomie de Cassiciacum. Il a remarqué les cailloux et les amas de feuilles mortes, qui brisaient ou qui interrompaient le cours du ruisseau, la dissymétrie des ouvertures dans la façade de la villa, les aspects maussades ou joyeux du ciel, les variations de la température, et il aurait oublié la principale beauté du paysage, une beauté qui s’impose même aux yeux les plus indifférens ! Avec leurs colorations changeantes comme l’expression d’un visage, les cinq lacs vous regardent et attirent le regard. Et Augustin, attentif à une bataille de coqs, ne les aurait pas regardés !...

Une autre objection moins forte, mais qui a sa valeur aussi, c’est que Casciago est bien éloigné de la ville, pour une maison de campagne. Soixante-cinq kilomètres environ le séparent de Milan. Cependant, nous voyons, dans les Dialogues, que le bon Alypius ne fait, pour ainsi dire, que le chemin entre Cassiciacum et la ville. C’aurait été un véritable voyage. Est-il vraisemblable qu’il se soit imposé si souvent, — et en plein été, — la fatigue d’un tel trajet ? Enfin est-il naturel que le grammairien Vérécundus ait acheté, ou conservé une propriété si distante de la ville où le retenaient ses fonctions ?

Tandis que je médite et que je pèse ces raisons, un carillon rustique commence à tinter au campanile de l’église, qui est en contre-bas de la terrasse. Alors, frappé d’une lueur soudaine, j’interroge la femme du jardinier : n’y aurait-il pas, dans l’église de Casciago, quelque souvenir, ou quelque relique de