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Ici, l’histoire trouve toute son efficacité et sa pleine autorité, puisqu’elle sonde la vie pour créer la vie.

Écrire l’histoire, c’est agir ; et c’est pourquoi il convient que l’historien soit homme d’action. Dans l’infinie multiplicité des faits du passé, l’homme d’action seul peut discerner ceux qui méritent d’être tirés du néant et confiés à la mémoire, c’est-à-dire l’utile et l’efficace. Sa vigilance avertie ne se trompe guère : d’un coup d’œil, il saisit les tenans et aboutissans : aux prémisses, il devine la conclusion. Prenons garde de confondre la leçon et l’enseignement, l’histoire écrite par les hommes d’Etat et l’histoire écrite par les professeurs. A celle-ci la mémoire et l’imagination suffisent : mais l’histoire, digne de ce nom, s’appuyant sur la pratique, requiert le bon sens, la raison et l’expérience : elle seule obtient l’autorité.

Échange de services : l’homme d’État qu’a formé l’histoire évite les erreurs signalées sur la carte du passé. L’historien pré- paré par les affaires publiques néglige les riens difficiles dont la curiosité intellectuelle s’amuse : son pas ferme va droit au but. Au carrefour des siècles qui s’achèvent et des siècles qui commencent, l’historien délibère et choisit : il indique la route à prendre et la route à éviter. Quand un homme s’est décidé à écrire l’histoire, il devient, si faible soit-il et si mince soit son sujet, l’instrument de la Destinée ; responsable de son récit et de son jugement, il répond aussi des suites. A la façon dont il expose les choses du passé, les choses de l’avenir iront bien ou mal, seront hâtées ou précipitées. Il est à la fois en queue et en tête du troupeau. L’histoire de la Grèce, l’histoire de Rome, l’histoire de la Révolution, l’histoire d’Alexandre, de César, de Napoléon, inspireront par lui, bien ou mal, les siècles futurs.

Le devoir de vérité est un grand devoir pour l’historien ; mais ce n’est pas le seul : insuffisant et terre à terre s’il ne s’achève par le devoir d’exemple, qui suppose l’émotion et la Beauté. Aussi, dans sa tâche si pénible, dans sa recherche d’une réalité qui le fuit toujours, l’historien perd le souffle, s’il n’est soutenu par un enthousiasme grave. La continuité de la conscience collective est sa perpétuelle obsession. Il a en vue à la fois l’Action qui touche la terre et l’Idée qui touche le ciel. Raconter l’homme à l’homme pour améliorer l’homme, tel est le devoir qu’il s’est tracé. Et que peut la science, alors ? L’histoire s’est appuyée sur elle d’abord ; mais, fille de l’action, l’histoire atteint des