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le grand homme, le héros, le prophète, le saint, celui qui a saisi, prolongé, réalisé en son jugement, en sa volonté et en son œuvre, les aspirations de sa génération et de son temps pour leur donner un essor nouveau. Sans le héros, pas de progrès, pas d’histoire ; la vie de l’humanité stagnante ne mérite pas d’être narrée.

Le héros, c’est l’incarnation de la faculté qui distingue l’homme dans la nature : la liberté. Le surhomme est une individualité surhumainement libre. Il rompt le sommeil des époques endormies et détermine le mouvement qui s’appelle progrès : il sait ce qu’il veut et il veut. La carrière du grand homme est un des enseignemens les plus émouvans de l’histoire, par le drame qui l’anime toujours. Les foules ne se déshabitueront jamais de le faire souffrir, pas plus qu’elles ne se déshabitueront de le voir souffrir ; elles le détestent parce qu’il les fouaille, et elles le suivent parce qu’il les entraîne : mais lui ne doit pas se lasser de leur commander et de les aimer. Susciter les grandes âmes et les fortifier, les arracher à l’étreinte du siècle qui les étouffe, les lancer en avant quand elles hésitent, c’est un des plus nobles devoirs, une des plus belles récompenses de l’histoire.

Les âges de prospérité se désintéressent vite de la misère humaine ; ils la considèrent comme négligeable et méprisable : l’orgueil de la richesse et de l’intelligence sont sans pitié. Alors le « saint » surgit. Il réapprend l’honneur de la souffrance et la douceur de la pénurie intellectuelle : les saint Martin, les saint François d’Assise, ceux qui partagent leur manteau, ceux qui épousent la pauvreté, ceux qui prient avec les petits oiseaux, accomplissent, rien qu’en montrant leurs âmes simples, les révolutions psychologiques qui orientent les siècles nouveaux. : Ces saints sont des héros. Quand tout est veulerie, Jeanne d’Arc parait ; quand tout est désordre. Napoléon. Quand la matière s’est trop épaissie, l’esprit la fait éclater ; la paix alourdie réclame le souffle rafraîchissant de la guerre. Le grand homme prend le commandement, donne l’exemple et l’ordre ; tout change.

La vie du grand homme a pour sanction l’histoire ; car l’histoire la juge, la continue et la développe. Mais de quel mètre, de quel compas l’histoire mesurera-t-elle le grand homme ? Il faut donc qu’elle soit aussi grande, plus grande que lui ?... On