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de la véracité en histoire. Une des causes d’erreurs les plus fréquentes et les plus fâcheuses, c’est la transposition des sentimens d’une époque à l’autre ; mais il y a quelque chose de particulièrement déplaisant, c’est cette espèce de gauchissement des faits qui met l’histoire au service des passions contemporaines : l’allusion. Autant est grave et respectable la leçon empruntée aux événemens du passé, autant est mesquine et pénible la contorsion qui les ramène à la figure du présent.

Une bonne chronologie est indispensable pour établir les causes, et la détermination des causes est la donnée essentielle de la solution des problèmes historiques.

Il ne suffit pas de la précision dans les dates, il faut, en plus, une connaissance exacte de l’enchaînement résultant de la subordination chronologique des événemens. Une date, toute sèche et toute nue, n’apprend rien ; rapprochée d’autres dates, elle produit la lumière. Par exemple, la date de la mort de Jeanne d’Arc étant 1431, cette unique mention passe inaperçue ; mais, si on remarque le synchronisme de cette année avec celle de l’invention de l’Imprimerie, l’esprit est frappé par une telle coïncidence, et il est prêt à reconnaître un certain rapport entre la mission de Jeanne d’Arc et les idées qui agitaient le monde à la veille de la Renaissance.

Nous sommes amenés ainsi à envisager un des autres procédés de l’histoire, le rapprochement et la comparaison. En principe, les choses ne s’expliquent bien que si elles sont ramenées à une commune mesure. Si l’histoire est une science, elle doit s’appliquer à découvrir les rapports permanens des choses entre elles : c’est par là seulement qu’elle arriverait à dégager des lois. La comparaison est le procédé naturel du jugement. Tous les verdicts sont relatifs.

Le progrès de la civilisation se produit par une sorte de contagion des idées, des sentimens, des formes, dont la mode est un des plus puissans véhicules. A une certaine époque, par exemple, les diverses nations européennes se soumirent à une même conception architecturale qui s’est appelée l’art gothique et qu’on appellerait, plus justement l’art français. Qui considérerait isolément l’art gothique en Angleterre ou en Italie, croirait à un développement local du genre d’architecture ayant pour caractéristiques la voûte sur croisée d’ogive et l’arc en tiers point. Pas du tout ; la comparaison nous apprend que l’adaptation