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à l’heure ; mais au point de vue de l’art, nul idéal ne peut être plus noble : le Beau n’est-il pas « la splendeur du Vrai ? »

Ce mot fixe l’idéal de l’histoire ; il en expose aussi la difficulté. « Faire revivre, » c’est créer une seconde fois. Il ne suffit pas, en effet, d’une copie littérale pour donner l’impression de l’original. Celui qui noterait jour par jour, minute par minute, l’existence d’un grand personnage, n’aboutirait qu’au plus fastidieux des graphiques. L’image de la vie a d’autres proportions et d’autres saillies que la vie elle-même. Pour faire sentir ce relief, il faut une maîtrise, une autorité qui viennent de l’énergie et du caractère : qualités toutes viriles. Il faut savoir trancher et faire des sacrifices. L’histoire est, comme l’action, affaire aux mâles. Le peintre doit dominer le modèle pour le rendre. Savoir, d’abord, puis savoir exprimer, savoir choisir et savoir oublier, pour obtenir, dans le ramassé et le concis, l’hallucination de la vérité agissante, extraire de la mort les germes de la vie, telles sont les exigences de cet art supérieur où prétendent les historiens.


Thucydide raconte la guerre du Péloponèse. Les Athéniens viennent de décider l’expédition de Sicile, où va se jouer le sort de la République. La flotte qui doit transporter l’armée à Syracuse est prête ; l’ordre de l’embarquement est donné :

« Le jour venu, les Athéniens et ceux de leurs alliés qui se trouvaient dans la ville, descendirent au Pirée. Dès l’aurore, ils montèrent sur les vaisseaux prêts à prendre le large ; toute la population, citoyens ou étrangers, s’était massée sur le port. Les familles accompagnaient ceux qui partaient, fils, parens, amis. Tout en marchant, ils étaient partagés entre l’espoir du succès et la crainte de ne plus revoir ceux qu’une longue navigation allait séparer de la mère patrie. A cette heure des adieux, avec la perspective de lointains périls, le danger paraissait plus grand que quand on avait décidé l’expédition. Mais la variété, la grandeur du spectacle soutenaient, pourtant, l’enthousiasme. Spectacle, en effet, magnifique et surprenant : l’appareil des forces helléniques, tel que jamais une seule ville ne l’avait déployé sur mer, était puissant et dispendieux... La flotte avait été équipée à grands frais par les triérarques et par la cité. Le trésor public avait donné une drachme par matelot et avait fourni les vaisseaux dont soixante légers et quarante