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l’action. Que l’on chantât d’ « Olivier « et de « Roland « auprès de Godefroy de Bouillon et de Tancrède ; que Charlemagne à la barbe fleurie chevauchât près de Philippe-Auguste et de saint Louis, ces belles rencontres font le tissu (vivant de l’existence sociale. Les Grecs et les Romains marchaient ainsi avec nos armées révolutionnaires et, sur la terre d’Egypte, les quarante siècles des Pyramides contemplaient les soldats de Bonaparte.

Ni les contes bleus, ni les légendes épiques ne fatigueront jamais l’imagination des hommes. Pourtant, les générations modernes, à l’esprit plus complexe, ont des exigences plus réalistes. Elle veulent des contes, elles aussi ; mais des contes où elles puissent reconnaître une image plus immédiate de leur propre existence. D’où la vogue croissante et le caractère de plus en plus documentaire du « roman. »

Selon une observation de Bacon, » cet esprit d’indépendance, qui est une force et une dignité de la nature humaine, le porte à se soustraire au cours ordinaire des choses et à se créer un domaine imaginaire, où elle est plus libre et dispose à son gré des événemens. « Mais ce génie conteur par lequel l’intelligence humaine essaie, en quelque sorte, sa propre élasticité et tend la corde de sa puissance, ce génie conteur se sent plus fier de son œuvre, s’il sait la rattacher au câble solide des vraisemblances et des possibilités. La fiction se targue de la vérité ; le conteur veut passer pour un observateur. Ainsi le roman se rapproche de l’histoire.

Teinté de « réalisme, » il étonne le monde de ses prétentions et de sa prolificité ; il prétend présenter le tableau de toutes les passions, le décor de tous les spectacles, l’amalgame de toutes les possibilités humaines et extra-humaines ; il oublie son rôle d’amuseur. Il se fatigue et fatigue. S’il n’est ramené à ses origines, le roman périra après avoir encombré un siècle vain de son éphémère production. « Documenté « et » documentaire, » — s’il pouvait prendre ces qualificatifs au sérieux, — il n’aurait plus qu’à se perdre dans l’histoire.

L’histoire tient de la fable, de l’épopée, du roman, parce qu’elle est aussi œuvre de conteur : mais elle se distingue de ces « genres, » parce qu’elle s’appuie exclusivement sur la vérité. L’historien est un conteur, mais un conteur vrai. Cette condition de l’histoire fait d’elle une science, nous le verrons tout