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L’histoire, fille du souvenir, n’est pas seulement une faculté utile et terrestre, c’est une faculté intuitive et céleste. La philosophie et la religion ne sont qu’une histoire idéalisée et purifiée. A la naissance de toute religion, il y a un livre, un témoignage : l’Écriture. La tradition enseigne à l’homme, non seulement le passé et le réel, mais le futur et l’au-delà.


Voilà donc ce qu’est l’histoire. Les faits, les techniques, les arts, les mœurs, les idées, les aspirations, les croyances, les lois, l’ordre, tout s’enregistre et se transmet en elle. L’homme vit en état d’histoire. Son geste se prolonge indéfiniment par l’histoire, comme la lumière et le son vibrent éternellement dans l’espace.


II. — L’HISTOIRE EST UN ART

Une faculté qui s’exerce, cause un plaisir. L’histoire ne serait pas, pour l’homme, une nécessité qu’elle lui serait une émotion, — émotion délicieuse et avidement recherchée.

Dans le récit que le père fait aux enfans, il y a un charme réciproque. Ce n’est pas pour « apprendre » que l’enfant demande, sans cesse, des « histoires, » c’est pour s’amuser. Il jouit du récit en tant que récit, et le narrateur est non moins heureux, si l’ « histoire » étant bien faite, bien agencée, expressive, produit une émotion.

L’histoire a donc une autre raison d’être que son utilité. Il y a l’histoire pour l’histoire, comme il y a l’art pour l’art. Et, cette constatation suffit pour établir que l’histoire est un art.

Comme tous les arts, l’histoire vise la Beauté. Elle essaye d’y atteindre par le récit animé des événemens, l’harmonie des proportions, la clarté des déductions, le rendu des personnages, l’illusion de la vie. La puissance d’expression est, là comme dans les autres arts, l’objectif suprême.

Un sculpteur taille le marbre, un peintre manie le crayon et le pinceau ; un architecte ordonne les matériaux et impose à la matière la lumière et le mouvement, le poète marque la cadence et le musicien combine les sons : — l’historien évoque des sentimens et des pensées par le rappel du passé et le prolongement des ombres.