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avec le lait ; il s’engage, ne le voulût-il pas. Le fils ne peut se dépouiller de ses ancêtres, ni le présent du passé ! Le nouveau venu est contraint de se soumettre aux lois, puisqu’il en réclame, avant de naître, le bénéfice. Il prend le pas de la troupe en marche ; il avance par elle, au milieu d’elle. L’hostilité de la nature, la brutalité des animaux et des hommes, toutes les forces adverses qui se ruent sur lui, la société s’est donné pour tâche de les écarter de son berceau. Elle veille sur son tendre sommeil ; et cette protection ne veut même pas être implorée ; le code qui la dicte est antérieur à chaque être naissant et lui survivra.

Donc, le monde où vous naissez vous tient ; lâchez-le, il ne vous lâchera pas ; l’homme est fonction de ses ancêtres ; il subit son propre angle facial ; sa personnalité consciente, sans doute libre, est liée à sa personnalité subconsciente qui ne l’est pas. Le révolté obéit encore, puisque, pour lutter contre la société, il lui emprunte les armes qu’il retourne contre elle.

Le poids de l’histoire pesé sur l’humanité présente et future et lui a tracé, d’avance, sa ligne de conduite : le devoir. Devoir veut dire dette. En remplissant le devoir, on ne fait que payer ce qu’on doit. C’est de l’équilibre de tous les devoirs que se fait le Droit. Mais, ce compte, cette balance des dettes, puisqu’elles viennent du passé, ne peut s’établir que par l’histoire.

Dans l’harmonie de l’univers, se conformant à l’ordre et aux lois qui le régissent, l’homme agit, veut et pense conformément à cet ordre et à ces lois. Sa volonté éphémère, étant fille de la volonté éternelle, s’efforce, sans cesse, de se rapprocher d’elle. Entre l’infini et le fini, entre le créateur et le créé, entre le divin, c’est-à-dire l’inconnu et l’intelligence, c’est-à-dire ce qui veut connaître, le contact se fait par la réflexion et par la foi.

L’homme a en lui le sentiment de l’infini, puisqu’il le nomme, et la notion d’une volonté créatrice, puisqu’il y pense. On ne saurait arracher à l’âme humaine une certaine idée de la série, de l’ordre, de la succession, de la causalité, se prolongeant, au-dessus de l’univers visible, jusqu’à une cause première.

Or, ce sentiment de la série résulte de l’expérience séculaire, affirmant le développement lié des faits et des choses. La pensée humaine n’a que ce point d’appui, le souvenir, pour s’élancer, du fini qui se transforme, vers l’infini qui demeure.