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Qu’est-ce que la science, sinon un enregistrement, une mnémotechnie et une pédagogie ? La science est dans la nature comme la statue dans le marbre ; il s’agit de la découvrir, de définir ses contours et de la perpétuer. Tous les enfans du monde sont mis à apprendre et réciter, pendant de longues années, l’acquis des siècles antérieurs pour que l’humanité n’oublie pas ; car, si l’homme ne ramenait sans cesse la science à ses origines, il la perdrait. Comme les animaux, il revient sur ses brisées. Chaque enfant est, ainsi, une petite humanité récapitulant des milliers d’existences antérieures.

L’homme a multiplié, autant qu’il l’a pu, ces moyens de préservation, ces précautions contre l’oubli, ces gymnastiques pédagogiques et « classiques : » à tel point qu’il lui arrive souvent de confondre l’enseignement et la science : les professeurs ne se refusent pas le titre de savans. La science, qui explique la nature, se soutient et s’accroît parce qu’elle est conservée par l’histoire.

L’art, à son tour, n’est qu’un procédé, un instrument de l’histoire. C’est un moyen d’expression, un langage durable et universel, visant la pérennité. Que prétendent les architectes, peintres, sculpteurs, graveurs, musiciens, sinon traduire et transmettre à l’avenir les spectacles, les sentimens, les émotions dont ils ont joui ou souffert ? L’homme s’inscrit sur le présent pour devenir le passé d’un futur qu’il prévoit. Les arts sont la marque suprême de la civilisation parce qu’ils sont les témoins les plus émouvans de l’histoire. Je ne sais si les œuvres de Tite-Live, de Tacite, sont plus explicites que le Colisée et le Pont du Gard pour narrer la grandeur romaine ; je ne sais si la Somme de saint Thomas nous explique les aspirations religieuses du moyen âge mieux que la cathédrale de Chartres ou la cathédrale d’Amiens ; je ne sais si le Discours sur l’Histoire Universelle exprime mieux la majesté du siècle de Louis XIV que Versailles.

Les sciences, les arts, les techniques, toutes les productions de l’activité humaine se jettent dans l’histoire comme les fleuves dans la mer ; l’histoire subvient sans cesse à la mémoire trop courte et si vite lasse des individus et des générations.

Dans ce travail constant, pour que la pensée et la parole se prolongent, d’échos en échos, à travers les siècles, les hommes ont reconnu la puissance particulière du rythme. L’ingéniosité