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de notre part une vigilance très attentive. Il était facile de prévoir dès le premier jour que la crise d’Orient serait l’épreuve des alliances et nous n’en sommes que plus satisfaits d’entendre M. Pichon affirmer que celle que nous avons avec la Russie, et qui est la pierre angulaire de notre politique, est sortie des événemens saine et sauve, ou, pour parler plus exactement, qu’elle en est sortie fortifiée. Si bien, a pu dire M. Pichon, que cette alliance, qui n’avait pas été faite en vue des événemens d’Orient, « a montré, par sa souplesse et par la façon dont elle s’applique et s’adapte aux nécessités de la politique générale, de quel prix elle est, non seulement pour nous, mais pour tous les peuples qui veulent sincèrement éviter les risques de la guerre. » Rien de plus vrai : l’alliance franco-russe n’a pas été un bienfait seulement pour nous, mais aussi pour l’Europe ; elle a été un des principes les plus actifs qui ont aidé à la conservation de la paix. Avec l’Angleterre, l’entente cordiale a toujours été l’entente facile : aucune ombre ne l’a troublée. Pas plus que nous, l’Angleterre n’a dans les Balkans de ces intérêts vitaux qui dominent et dirigent toute la politique d’un pays et, dans la Méditerranée, ses intérêts étaient conformes aux nôtres. Aussi M. Pichon a-t-il pu dire que « pas un jour nous n’avons été en désaccord avec le gouvernement britannique. Que ce soit à Paris ou dans les conférences de Londres, notre action s’est invariablement jointe à la sienne et nos vues se sont régulièrement rencontrées pour concourir au même but. »

Quel était ce but ? La paix à maintenir entre les grandes puissances et à ramener entre les États balkaniques. Et comment ramener la paix entre les États balkaniques ? En établissant entre eux un juste équilibre de forces. Ce dernier objet de l’effort de la France et de l’Europe a-t-il été complètement réalisé ? M. Pichon reconnaît que les solutions acquises sont « imparfaites, puisqu’elles sont le résultat de transactions, » mais il estime qu’elles sont « suffisantes et doivent être considérées comme heureuses, puisqu’elles se traduisent par le rétablissement de la paix et puisque en somme elles ne constituent, pour aucun de ceux qui ont été mêlés à la guerre, un avantage exclusif d’une part, ni un écrasement de l’autre. » Et il ajoute, avec quelque optimisme peut-être : « Elles permettent d’entrevoir, lorsque les haines encore toutes chaudes des batailles d’hier seront apaisées, une paix durable qui est, je n’ai pas besoin de le dire, dans nos vœux les plus fervens. » Elle est aussi dans les nôtres, et nos vœux communs seront à coup sûr réalisés quand les haines seront apaisées : mais quand le seront-elles ? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre.