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armes, M. Jean Variot lui a dédié Les hasards de la guerre, un chef-d’œuvre.

Andréas Hermann Ulrich..., né à Strasbourg vers 1880, fut un enfant triste, farouche et qui cachait sous un masque impassible une tendre sensibilité. Orphelin, élevé par sa grand’mère, il a deux oncles, un ancien officier de marine et un ancien officier de l’armée, deux surprenans bonshommes qui premièrement se ruinent et enfin le laissent sans argent, — qu’importe ? — sans maison et sans aucune attache dans la vie. Il essaye l’existence comme il peut. L’une de ses tentatives serait d’acquérir, en travaillant, une somme qui lui permît de racheter sa maison : dans la maison où ses pères ont vécu et sont morts, il continuerait leur coutume. Mais, travailler ? chez qui, où ? il ne trouve sa place nulle part. L’autre tentative serait, faute d’une famille, de s’en faire une dans l’humanité ancienne : il en assumerait le rêve et le souvenir qu’attestent les livres, les tableaux, les champs de batailles illustres. Devant les tableaux, il a conscience de n’être pas un artiste : « J’ai battu en retraite, comme nous disons. » Il sait ce qu’il est ; et il n’admet en lui que ce qui est de lui, car il cherche à composer l’authentique réalité de sa personne. Les livres ? Il y a Montlucle brave et ce qu’il a dit, en 1554, défendant Sienne contre le condottiere Medici, marquis de Marignan : « Il faut crever plutôt, ou reconquérir ce que vous avez perdu ! » Ne le sait-il pas, lui Français d’Alsace et orphelin dépouillé du sol et des murs qui lui appartenaient : il le sait mieux, à la lumière d’une parole décisive. Mais, reconquérir ? Il faut ne pas être seul ; il faut entrer dans une armée. Andréas lit la Théorie de la grande guerre, par K. de Clausewitz, général prussien ; et la science de la guerre lui apparaît comme la plus belle et forte, « celle qui est commandée par la raison même de la nature humaine, la lutte. » Il visite les champs de bataille : Wagram, Austerlitz, Esslingen, la Bérésina. Il en ressent la mélancolie glorieuse et l’enivrante majesté ; puis, éveillant la mémoire des morts, il voit les alignemens humains, les foules disciplinées, cette géométrie calculée et vivante, la décision multiple et, dans la masse qu’une volonté soulève, l’initiative obéissante de chacun. Désormais, il connaît son devoir pareil à son désir : être un soldat dans une armée. Un pays a besoin d’une « caste exemplaire ; » et c’est, dans une démocratie, le rôle de l’armée. Ou bien le rôle de l’Église. Mais, de nature, on est ou prêtre ou soldat ; Andréas, soldat. Seulement, il n’a plus l’âge d’un soldat de chez nous. Donc, il lui reste de refaire sa vie parmi les « aventuriers militaires : » il s’engage dans la Légion. A la bataille, en Afrique, il