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convaincue de plusieurs responsabilités ? Dans l’ordre de la vie morale et sociale, on découvre ce qu’elle a démoli, sans rien bâtir. Je l’ai dit et je le répète : ses responsabilités, on les exagère. Et qui les exagère ? Ceux qui n’ont pas fait leur devoir de conservation : les politiques. Si les politiques n’avaient pas manqué à leur devoir, cette littérature qu’ils accusent si bien était au moins anodine. Mais il est vrai que survient une jeunesse ardente, prompte, et à laquelle ses devanciers ne lèguent pas une demeure en bon état et habitable pour elle. Comme il n’y a nulle apparence que les politiques sortent de leur nonchalance ou renoncent à leurs manigances de néant, cette jeunesse se met à la besogne : et elle rebâtit sa maison, qui est la maison française.

Elle va vite ; et elle va un peu trop vite, à mon gré. C’est aussi bien qu’elle est pressée ! Et nous le lui reprocherons, mais non sans trouver dans notre faute son excuse. Plusieurs de ces jeunes écrivains risquent de ne point nous toucher, à cause de leur sagesse, disons, précoce ou voire prématurée. Est-ce un trait de notre vieille corruption, de notre perversité ? les saints nous émeuvent surtout s’ils ont péché, s’ils se repentent de torts par lesquels nous leur ressemblions, saint Augustin docteur converti, saint François d’Assise qui mena dans les vallées d’Ombrie une allégresse profane avant de les consacrer par sa gaieté pieuse. Ces jeunes hommes si tôt sages et qui n’ont pas eu le temps de commettre leurs délits dans l’action ni dans la pensée, nous allons à chaque instant leur demander d’où ils se convertissent, de quoi ils se repentent. Mais que répliquerons-nous, s’ils nous répondent qu’ils se convertissent de nos erreurs et qu’ils se repentent de nous ?...

En examinant les générations successives d’un peuple, il ne faut pas omettre leur continuité. Chacune d’elles ne contient pas toute une histoire ; chacune d’elles ne déroule pas toute une dialectique. Elles ont dans les précédentes ce dont elles profitent et ce qu’elles expient, leurs prémisses ; elles ajoutent des corollaires, où il y a leur fantaisie et aussi les exigences du syllogisme antérieur. L’étonnante génération qui maintenant incline vers le soir, on ne la comprend pas du tout, si l’on ne songe qu’elle dérive d’une guerre où elle n’a point combattu et où ses pères ont subi le malheur des armes. La nouvelle génération a laquelle appartient le groupe dont je parle, elle succède à nous qui avons été des vaincus sans reproche et sans autre revanche que celle de l’art, de la science et du goût : triomphe joli ou, plutôt, défaite ornée joliment. Quelques jeunes gens se dépêchent de racheter leur péché originel, commis par nous. Leur rapidité nous surprend : mais aussi nous nous attardions,