Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 17.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il semble n’avoir pas manqué de finesse diplomatique et M. Dolléans remarque que plaidant toujours, non pas le pour et le contre, mais la diversité des moyens, il se ménage la ressource, pour plus tard, quelque tactique, qui soit adoptée, de pouvoir toujours dire et prouver par une citation d’un de ses discours qu’il a été le premier à l’imaginer et à l’introduire.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait toujours raison par la force de cette opinion qu’il avait enfoncée dans l’esprit du peuple qu’il aurait toujours raison.

Ce qu’il n’avait pas, c’était l’esprit de direction suivie ; et planant toujours au-dessus des sous-chefs de parti, il ne les forçait pas à le suivre par la rigidité d’un plan arrêté, de sorte que les discussions se multipliaient comme au-dessous de lui sans l’atteindre, sans l’entamer, du moins fort peu, mais sans qu’il put empêcher qu’elles existassent. Il présida toujours et ne dirigea jamais, du moins complètement. Il était la voix plutôt que l’âme d’un parti qui eut plusieurs âmes.

De là l’incohérence d’un mouvement politique qui poursuivit plusieurs buts successifs, qui fut révolutionnaire pacifique et qui fut (émeutes de Birmingham, 1839) révolutionnaire belliqueux ; qui fut solidariste (syndicaliste, comme nous disons maintenant), qui fut individualiste et qui finit par être communiste ; qui s’épuisa et en variations et en discussions, remuant du reste toutes les idées et préparant l’avenir ; mais, à s’en tenir à son histoire propre et à ce qu’il a été par lui-même, tournant en cercle et ne prenant jamais une conscience nette et profonde de lui-même.

Après quinze ou seize ans d’existence ou d’efforts pour exister, le parti n’était plus qu’une maison divisée qui devait périr si elle n’était déjà morte, c’est-à-dire désorganisée.

Bronterre n’était plus qu’un individu, toujours fidèle à sa doctrine définitive, qui était la nationalisation du sol ; mais isolé, s’obscurcissant dans une existence de conférencier peu rétribué et peu suivi.

Lovett était devenu complètement étranger au parti et se consacrait à des œuvres scolaires.

Feargus O’Conner se débattait dans des questions d’argent très embrouillées, perdait peu à peu la lucidité de son intelligence et, recueilli à l’asile du docteur Tuke, mourait fou en 1855.