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même pour la postérité, un personnage très considérable. Benbow est l’inventeur du « mois sacré ; » et le mois sacré c’est « la grève générale. » Cessation pendant un mois de tout travail dans la classe productrice, et par ce moyen, et c’est-à-dire par la famine, réduction de la classe possédante à une capitulation totale, tel est le grand projet de Benbow. Puisque depuis si longtemps les pauvres ont nourri les riches, les riches doivent pendant un mois nourrir les pauvres d’une partie au moins de leur capital accumulé. Mais cela ne suffira pas. Pendant le mois sacré le peuple par son congrès, composé de ses délégués, se fera législateur et il légiférera de telle sorte que, quand il se remettra au travail, tous, cette fois, devront s’y mettre. Et il y a à remarquer ceci, c’est qu’à cette condition et dans ces conditions le travail sera aboli : « Tout homme doit être mis au travail et alors le travail deviendra si léger qu’il ne pourra pas être considéré comme un travail, mais comme un exercice salutaire. Peut-il rien y avoir de plus humain que l’objet de notre glorieux jour de fête qui est d’obtenir pour tous, avec la moindre dépense, la plus large somme de bonheur ? »

M. Dolléans rapproche de ce manifeste de Benbow les discours de M. Aristide Briand sur la grève générale et fait remarquer d’abord les ressemblances frappantes des deux langages et ensuite des différences assez notables. Pour Benbow, comme on l’a vu, la grève universelle est une panacée. Pour M. Aristide Briand, elle n’est qu’un des moyens par lesquels le prolétariat peut faire capituler le capital et il recommande celui-ci sans répudier les autres : «...Le principe de la grève générale a détruit l’égoïsme chez l’ouvrier. On ne considère plus la grève comme une lutte contre le patron ; mais comme une arme sociale contre la société capitaliste. La grève générale n’empêche pas le suffrage universel ; la grève générale est un fusil ; c’est une arme de plus ; voilà tout. Une souris qui n’a qu’un trou est bientôt prise ; l’ouvrier a un fusil, mais il peut rater ; qu’il en ait un de rechange... La grève générale, ce serait la révolution ; mais la révolution sous une forme qui donne aux travailleurs plus de garanties que celles du passé en ce sens qu’elle les expose moins aux surprises toujours possibles, des combinaisons exclusivement politiques... Nos militans comprennent que la Révolution de demain ne peut plus être efficacement tentée par les vieux procédés révolutionnaires. Non pas, camarades, que je les réprouve.