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Dès l’avant-veille et la veille, de longues files de paysans conduisant des chameaux, des ânes, des mulets, venant de toutes les parties de l’île, convergent vers le champ de foire, où ils se rencontrent avec des acheteurs, arrivant de la côte d’Asie.

Les femmes musulmanes, ces modernes recluses, vêtues de robes voyantes, assises à l’écart sur les talus des remparts, contemplent avidement ce tohu-bohu d’hommes, d’animaux, de marchands ambulans, annonçant à grands cris leurs marchandises. Tons les groupes sont autant de tableaux pittoresques et charmans : ici, voici des bédouins venus des déserts d’Alep et tentant d’acheter des animaux avec l’aide d’un grand nègre qui leur sert d’interprète. Plus loin, ce sont des Syriens, s’apercevant après coup d’un marché désavantageux, cherchant à rendre, mais souvent sans succès, des animaux maquignonnés. Et, à ce rendez-vous de tant de races différentes, viennent s’ajouter les romanichels ou Gypsies de Chypre, diseurs de bonne aventure, vanniers, marchands d’animaux et, entre temps, un peu voleurs, mais uniquement pour ne pas faire mentir leur ancienne réputation, car, dès le temps du Père de Lusignan, ils étaient déjà considérés comme tels.

Les historiens ne mentionnent la présence des romanichels, en Chypre, qu’à partir des XVe et XVIe siècles ; de nos jours, ils forment un groupe de cinq à six cents individus, errant à travers l’ile comme le font ailleurs leurs frères d’Europe ou leurs pères de l’Inde.

Pour dire au revoir ou peut-être adieu à Famagouste, il faut aller, au moment du coucher du soleil, sur le rempart longeant la mer. C’est là que, tous les jours, je finissais mes après-midi.

A cette heure, le port est encore plus calme qu’il ne l’est en d’autres temps. Cinq ou six barques seulement y sommeillent, amarrées, attendant un chargement, et les rares ouvriers des quais sont, depuis longtemps, partis. Au loin, vers le Levant, dans la direction de la Syrie, s’étend la mer, mauve à ces heures, unie comme un miroir, n’ayant pas une voile à l’horizon pour l’animer.

A l’Occident, au contraire, c’est la féerie des couchers de soleil des pays d’Orient. Sur le ciel rose d’abord, puis d’un rouge feu, ce sont les dattiers aux troncs grêles, aux palmes