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reçut plus de 170 000 boulets de fonte), devait subir, fut atroce. Du 21 juin au 5 août, l’armée turque, commandée par Mustapha Pacha, donna six assauts terribles et entre ces assauts, pour mieux les préparer, les Ottomans tentèrent de faire tomber une fraction du rempart en allumant un énorme brasier qui brûla pendant quatre jours. Sans cesse les assiégés avaient à repousser les travaux de mines ; enfin, après avoir mangé les chevaux, les ânes, les chats, après avoir épuisé leurs provisions de pain et de fèves, les Famagoustains, accablés par les fatigues d’alertes sans cesse renouvelées, décimés par le feu et les maladies, n’ayant plus d’eau potable, se rendirent aux 200 000 hommes du Grand Seigneur. On peut s’imaginer ce que fut le pillage, si l’on songe que parmi les soldats ottamans se trouvaient 60 000 aventuriers, venus avec l’unique espoir de faire fortune, tant la réputation de richesse de la ville s’était perpétuée dans les imaginations.

Nous avons vu plus haut qu’au mépris de tous les engagemens, le malheureux Bragadino fut écorché vif ; sa peau, emplie de paille, après avoir été promenée par la ville, fut accrochée à la vergue d’une galère, qui alla montrer ce trophée d’un nouveau genre dans tous les ports de la Syrie et le rapporta ensuite à Constantinople.

Quelques années plus tard, les Vénitiens rachetaient les restes de l’infortuné général et les plaçaient pieusement dans une urne, encore visible à Venise, dans l’église de Saints-Jean-et-Paul, où sont conservées les cendres des plus illustres et des meilleurs citoyens de la République.

Dans sa presque totalité, l’enceinte de Famagouste est l’œuvre de Giovanni Sanmicheli ; et, si elle n’a pas, pour les yeux des profanes, la poésie, le charme, des fortifications de Rhodes, au point de vue militaire elle n’en constitue pas moins une œuvre de premier ordre ; car les ingénieurs italiens étaient, à cette époque, d’une bonne centaine d’années en avance sur les nôtres.

Le périmètre total est d’un peu plus de 3 000 mètres formant un rectangle irrégulier, allongé du Nord au Sud. Les fronts, en partie taillés dans le roc, en partie construits, sont flanqués de bastions espacés de 100 à 150 mètres. Ces fronts viennent se souder les uns aux autres, aux angles, par d’autres bastions dont le plus important, parce qu’il était le plus exposé, est celui de Martinengo, au Nord-Est.