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pèlerins de passage, pendant leur séjour à Famagouste, et combien ils étaient scandalisés de ce qui se passait autour d’eux, dans cette ville corrompue.

La plupart des produits précieux, arrivant en Chypre des contrées lointaines de l’Asie mystérieuse, presque fabuleuse à l’époque, étaient embarqués à Beyrouth, Tripoli de Syrie, Lajazzo[1], à destination de Famagouste où, après avoir été entreposés, ils étaient réexpédiés en Europe. Nous savons par les contemporains de quoi se composaient ces riches cargaisons. L’un d’eux en particulier, Pergolotti, agent d’une maison italienne, qui séjourna en Chypre, de 1324 à 1327 et en 1335, nous a laissé une longue liste de ces marchandises. C’étaient des esclaves, des pierres précieuses, des perles du golfe Persique, percées à Ormuz par des spécialistes. De l’or, de l’argent, de l’ivoire, du bois d’aloès, venant du Kamroun (actuellement l’Assam occidental) ; du santal du Dekan ou de Timor, du camphre de Sumatra, de la rhubarbe, du gingembre de la Chine, de l’indigo dont le plus réputé était connu sous le nom d’indigo de Bagdad ; du bois du Brésil appelé par les Arabes Bakam et servant à teindre les draps en rouge ou en rose. C’étaient les épices, qui avaient joué, de tout temps, un rôle si important dans la préparation des plats et des boissons en Occident : le cardamome, le poivre, la muscade, la cannelle, les clous de girofle des Moluques dont le lieu d’origine, soigneusement caché, était inconnu même en Extrême-Orient.

Puis, il y avait toute la longue liste des parfums : l’ambre gris, le baume, le benjoin, le musc du Tonkin.

Dans beaucoup de comptes ou d’inventaires du moyen âge, on trouve la mention soit, « d’oyselets de Cypre, » soit, de boîtes ou de cages destinées à les contenir. Ces oiselets n’étaient, en réalité, que des boules parfumées faites en forme d’oiseaux, peut-être recouvertes de plumes et qui, percées, laissaient s’échapper les parfums de la poudre contenue à l’intérieur. Ces poudres étaient également brûlées comme nous le faisons encore maintenant. Il devait y avoir aussi, en Chypre, le commerce des peaux odoriférantes, destinées à tailler des bourses, des pourpoints, des ceintures et principalement des

  1. Au moyen âge, Lajazzo était un port très important situé près des ruines de l’antique Egée. Marco Polo y passa près de vingt ans avant la prise de Saint-Jean-d’Acre.