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dots magnifiques et des bijoux superbes, dont la valeur dépassait « toutes les parures des reines de France » car les pierres précieuses et les perles, en particulier, passaient presque toutes par les coffres-forts des marchands de Famagouste.

Les Lachas, des Nestoriens, brûlaient, quand ils recevaient des invités dans leurs palais, du bois d’aloès ; ils exposaient aux regards émerveillés de leurs amis des rubis, des perles, des objets en or dont leurs magasins regorgeaient et l’un d’eux acheta, un jour, une escarboucle merveilleuse, d’un rouge admirable, qu’il pila par ostentation dans un mortier.

Vers 1330, le voyageur allemand Ludolphe de Sultheim trouve à Famagouste plus d’épices chez un marchand de denrées coloniales qu’il n’y a de pain en Allemagne, plus de bois d’aloès qu’on n’en pourrait charger cinq voitures. Quant aux pierres précieuses, aux brocarts d’or et aux autres objets de prix, il préfère n’en pas parler car ses compatriotes ne pourraient le croire. Mais, comme revers de la médaille, la vie était devenue tellement chère dans cette ville, qu’un homme y était plus pauvre avec trois mille florins de rente, que dans son pays avec trois marks de revenu.

Ce luxe, ces habitudes orientales étaient non seulement en usage pour les vivans, mais encore pour les morts. En 133S, Jacques de Vérone assiste à un enterrement : « J’étais à Famagouste quand mourut un riche citoyen. Tous les religieux furent conviés à ses obsèques. Je m’y rendis et pendant que nous étions devant la porte du défunt j’entendis des femmes qui chantaient d’une façon suave. Alors je montai dans la maison et regardai où se trouvait le mort. J’aperçus à sa tête deux femmes qui chantaient à haute voix et à ses pieds deux autres qui se lamentaient. Ce sont les joueuses de flûte dont parle l’Evangile. Ces femmes chantaient en grec, en sorte que nous ne pouvions les comprendre... J’ai demandé ce qu’elles disaient et on m’a répondu qu’elles exaltaient la beauté, la sagesse et les autres vertus du défunt. »

Comme en Syrie jadis, les coutumes de l’Orient avaient profondément déteint sur la société chypriote ; les hommes d’Occident, un peu frustes, s’étaient facilement plies, sous ce beau climat, à une vie plus douce. Les jours n’étaient-ils pas chauds et lumineux ? les nuits merveilleusement étoilées ? les tentations nombreuses ? aussi, est-il facile de comprendre la surprise des