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aujourd’hui à peine entr’ouverts et par lesquels passent ceux-là qui se sont réfugiés dans la fatalité. Beaucoup de joies et aussi beaucoup de douleurs humaines étaient passées jadis ; bien des cœurs heureux étaient venus remercier ; bien d’autres, brisés, étaient venus implorer : soldats partant pour la guerre, voyageurs arrivant ou s’en allant, êtres se chérissant, priant l’un pour l’autre ; rois ayant besoin de toutes les lumières divines pour pouvoir se diriger dans leurs royautés.

C’est à Saint-Nicolas, en effet, que les Lusignan étaient sacrés comme rois de Jérusalem, après que la couronne de Chypre leur avait été remise à Nicosie. C’est là que Pierre Ier, entouré de ses barons, montant sur le trône, reçut les onctions saintes, le 5 avril 1360, des mains du légat Pierre Thomas[1], revenu de Rhodes expressément pour cette cérémonie. La joie de la population fut immense, ajoute le chroniqueur.

Deux ans plus tard, un autre spectacle, non moins magnifique, fut offert aux habitans de Famagouste dont les monumens et les maisons étaient décorés de centaines de bannières soyeuses, flottant au vent. L’armée chypriote, après s’être emparée de Myra, en Lycie, dont saint Nicolas avait été évêque, rapportait, en triomphe, l’image du patron de la ville. Lentement, au bruit des cloches qui sonnaient à toute volée et qu’accompagnaient les chants liturgiques, devant le peuple agenouillé, les soldats pénétrèrent dans la cathédrale pour y placer, de leurs mains, la relique très vénérée et, à leur sortie, de longs et frénétiques vivats les accueillirent.

Mais, comme pour la ville, les beaux jours de Saint-Nicolas étaient comptés. Les Génois s’emparent de Famagouste, leurs mercenaires s’installent dans les couvens et il faut attendre l’année 1462 pour que la cathédrale se pare et s’illumine de nouveau, à l’occasion de la consécration solennelle du mariage du roi Jacques II et de Catherine Cornaro. Quelques mois après, ce prince intelligent, énergique, patriote, emporté par un mal mystérieux, y rentrait encore, mais, cette fois, dans son cercueil. Aux hymnes d’allégresse avait succédé le « Requiem æternam dona ei Domine » des morts. Seize ans plus tard, en 1489, sa veuve Catherine, entourée d’un brillant cortège, venait assister à une autre messe mortuaire : celle qui mettait fin au royaume

  1. Acta Sanctorum... januarii, t. II, p. 1004. Vila Sancti Petri Thomassiî. Philippe de Mézières, § 47 et 48.