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y serait-il arrivé s’il n’avait été enlevé soudainement en 1473. Jacques III, son fils posthume, mourait, à l’âge d’un an, d’une mort également mystérieuse. La veuve de Jacques le Bâtard, mère du malheureux jeune prince, Catherine Cornaro, fille adoptive du Sénat de Venise, fut forcée d’abdiquer sa souveraineté en faveur de la République, en 1489.

Les Vénitiens possédèrent Famagouste jusqu’en 1571, date à laquelle, après un siège mémorable de soixante-quinze jours, le général ottoman Mustapha s’en rendait maître. La population fut massacrée ou emmenée en esclavage et, depuis ce temps, s’appauvrissant toujours de plus en plus, elle est arrivée jusqu’à nous comme une très pâle image, une sorte de fantôme de ce qu’elle fut jadis.

A propos de la prise de Famagouste, en 1373, il est intéressant de connaître comment Gênes organisait ses expéditions militaires.

Les soldats étaient des volontaires engagés pour la durée de la campagne, ils recevaient une solde et participaient au butin (marchandises, esclaves, armes portatives).

Mais en même temps que l’armée se constituait, il se formait, dit Mas Latrie[1], « des Sociétés en commandite, que réunissait souvent une Société générale, pour fournir à la République l’argent, les vivres et les galères dont elle avait besoin. C’est ce qu’on appelait des Mahones ou une Mahone.

« Dans le courant du XIIe siècle, les flottes les plus considérables de Gênes s’équipaient déjà de la sorte. La Mahone se constituait par l’association d’armateurs, de capitalistes, de marchands, de petits propriétaires, d’ouvriers, de corporations religieuses ou laïques qui prêtaient leurs fonds en commun pour courir les risques de l’expédition projetée. Chaque sociétaire qu’on appelait le Mahon ou le Mahonais recevait, au prorata de sa mise, une part des profits soit en numéraire, soit en marchandises, soit en propriétés territoriales. C’est ainsi que les Justiniani de Gênes s’établirent dans l’île de Chio pendant près de deux cents ans.

« La Mahone de Chypre se forma avec un premier capital de 400 000 ducats. Ayant réalisé d’immenses bénéfices, par suite de la prise de Famagouste, elle se constitua en compagnie permanente

  1. Histoire de l’île de Chypre, t. II, p. 386