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fit exception à la règle, en montant dans le train qui, de Famagouste, va à Nicosie. Sa joie fut complète, dit-on, mais ne voulant pas gâter cette première et unique impression, comme un sage, il n’a jamais recommencé.

La ville de Famagouste, altération française du nom byzantin d’Ammokhostos (les dunes de sable), fut fondée, peut-être sous les Ptolémées, à une petite distance au Sud de Salamine.

Pendant bien des siècles elle resta sans avoir d’importance. Au commencement de 1200, suivant les chroniqueurs et les récits des voyageurs, il n’y avait guère là qu’une tour fortifiée et un lieu de pèlerinage à saint Épiphane, évêque de Salamine. Cependant un évêque latin y résidait déjà. Il lui fallut attendre la prise de Saint-Jean-d’Acre par les musulmans, en 1291, pour qu’elle se développât. Les grandes maisons de commerce, les banques, les comptoirs, dont les sièges étaient à Acre, chassés de cette ville par les musulmans, vinrent s’y réfugier et, la même année, Nicolas IV interdit aux chrétiens, sous peine d’être excommuniés et déclarés infâmes à perpétuité, toute transaction directe avec les infidèles, surtout la vente d’armes, de chevaux, de bois et de vivres.

Famagouste devint ainsi le terrain neutre, où purent se faire, librement, les échanges entre l’Occident et l’Orient. De 1300 à 1373 sa richesse fut fabuleuse, son port était plein de navires, ses magasins regorgeaient de marchandises et, dès les premières années du XIVe siècle, la plupart des églises et les fortifications étaient en cours de construction. Mais en 1373, les Génois s’en emparent, la pillent, s’y livrent à toutes sortes de cruautés et la gardent jusqu’en 1464. En vain, après les premiers excès commis, essayèrent-ils de lui donner un lustre nouveau ; en vain, malgré les traités passés entre les rois de Chypre et la République, depuis celui de 1383 (tous portant comme condition essentielle d’assujettir le commerce d’exportation et d’importation à passer uniquement par Famagouste, sauf pour quelques articles destinés à l’Asie Mineure), tout fut inutile. Le système commercial égoïste de Gênes avait porté ses fruits. Délaissée par les autres nations, assiégée à plusieurs reprises par les Chypriotes, sa ruine alla s’accentuant, d’année en année, et lorsque le 6 janvier 1464, les Génois capitulèrent, Famagouste n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Jacques II, fils bâtard de Jean II, essaya de la relever. Peut-être