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des prêtres a tout gâté. Les prêtres sont des ambitieux qui ont imaginé des rites compliqués et des dogmes absurdes et les ont imposés à la crédulité populaire afin de rendre leur ministère indispensable et fonder par lui leur propre pouvoir. Et ainsi ils ont abêti et dépravé l’humanité. Les princes ont fait cause commune avec eux, se sont servis d’eux pour assurer leur gouvernement et leur ont en retour concédé de scandaleux avantages. Le résultat de cette alliance est que l’homme est avili dans son cœur et dans son esprit, et que les religions qui prétendent l’élever à la divinité ne font que le ravaler toujours plus bas. Cette doctrine, qui est exposée dans le Anima mundi (1679) et dans le Great is Diana (1680), est étrangère à Montaigne ; mais Montaigne, qui aimait tant à passer en revue les croyances contradictoires des peuples, fournissait les faits qui servaient à l’établir. A l’exemple de l’Apologie de Sebonde, et en s’aidant manifestement d’elle, Blount nous montre les idées folles et injurieuses que les religions se sont faites de la divinité, les croyances ineptes qu’elles ont répandues sur l’âme et ses destinées. Montaigne l’aide encore à montrer quels actes de barbarie a provoqués l’idée de sacrifice et sa foncière absurdité. Il le seconde dans sa critique du miracle. Blount n’a pas plus que Montaigne le goût des systèmes. Pamphlétaire plus que philosophe, il se propose non de présenter une doctrine bien liée, mais de taquiner, de troubler dans leur sérénité béate qui l’exaspère ces dogmatiques dont l’arrogante présomption ne vit que d’ignorance et de bêtise. L’impertinence avec laquelle Montaigne savait déjouer et démasquer leurs affirmations frivoles lui plaisait par-dessus tout. Il reprend dans les mêmes termes, citant des pages entières des Essais, tout son long paradoxe sur l’intelligence animale, qui supprime le fossé creusé par la philosophie traditionnelle entre l’âme rationnelle de l’homme et l’âme sensitive des bêtes, et trouble ainsi les idées du croyant sur l’immortalité. Comme Montaigne il s’élève contre les procès de sorcellerie, nie le merveilleux sous toutes ses formes, répète que tout l’héroïsme des martyrs ne sert de rien pour fonder les dogmes auxquels ils sacrifient leur existence. Plus que ses opuscules, il faut lire le hardi commentaire dont Charles Blount accompagne sa traduction de la Vie d’Apollonius de Tyane. La vie d’Apollonius ne lui parait ni moins exemplaire ni moins féconde en miracles que celle du Christ, et