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Le promoteur du mouvement déiste, Herbert of Cherbury, avait séjourné longuement en France où des missions diplomatiques l’avaient retenu. La pensée française a certainement eu sur son esprit une grande influence, et c’est à Paris qu’il a composé son traité De la vérité, où il proclame l’insuffisance des méthodes de connaissance, et où il en propose une nouvelle fondée sur le consentement universel. Ce critérium du consentement universel obligera Herbert of Cherbury à rejeter uniformément toutes les religions positives pour ne retenir que les élémens communs à toutes, qui constitueront la religion naturelle. Or quel écrivain en France, mieux que Montaigne et son fervent disciple Charron, pouvait à cette époque enseigner la faiblesse de la raison et la nécessité de la guider ? Lequel encore pouvait mieux inviter à examiner l’extrême diversité des coutumes et des croyances pour les opposer les unes aux autres, en dégager les contrastes et les ressemblances ? L’historien du déisme, Lechler, et les historiens de la philosophie moderne ont tous reconnu cette part prépondérante de Montaigne dans les origines du mouvement.

Elle est surtout apparente dans les écrits de Charles Blount qui sont d’un demi-siècle postérieurs à ceux de Herbert. Ce Charles Blount n’est point un précurseur, sa pensée n’est pas originale. Il reçoit la doctrine toute formée des mains de Herbert et de Hobbes et il la reprend à son tour sans y ajouter grand’chose. Mais dans l’exposé qu’il en fait, à chaque instant reparaît le nom de Montaigne, et plus souvent encore que son nom des citations des Essais. On sent que le livre lui est absolument familier, qu’il se présente sans cesse à son esprit. Blount admire l’art de Montaigne, lui emprunte quelquefois les images, goûte l’allure décousue de son style surtout. Montagniser (to montagnize) dans sa langue signifie procéder par perpétuelles digressions, et si on lui reproche de ne pas composer, il se retranche derrière l’exemple de Montaigne et se couvre de son autorité. Mais, bien plus que l’art de Montaigne, il aime son esprit, sa critique à laquelle rien n’échappe, et qui, sans tapage, sans effort, comme en se jouant, minant lentement les idées par leurs assises, laisse enfin la pensée désemparée. Pour Blount, comme pour Herbert et Hobbes, la seule religion des hommes a d’abord été la religion naturelle, et dans le temps où ils s’en contentaient ils étaient pieux et vertueux. L’intervention