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Mieux vaudra nous demander ce qu’à chaque époque on a loué en lui, pourquoi on l’a lu, pourquoi on l’a admiré, ce qu’on a retenu de ses leçons, ce qu’on a imité de lui. Aidés par les recherches récentes d’Upham, de Crawford, de miss Grâce Norton[1], nous suivrons ainsi pas à pas l’histoire de son influence en Angleterre, qui n’a pas encore été retracée. Nous constaterons, je crois, que, en Angleterre comme en France, son succès ne s’explique pas par une vertu particulière, mais qu’aux diverses époques on l’a diversement compris ou tout au moins qu’on a semblé goûter en lui des qualités différentes.


II

Au début, le succès fut des plus rapides. On n’attendit pas même que la traduction de Florio fût publiée (1603) pour emprunter à Montaigne le titre si original de son livre, ce titre d’Essais dont nul écrivain avant lui n’avait fait usage dans aucune langue. Trois recueils anglais d’Essais avaient déjà paru en 1603 ; ceux de Bacon, de Cornwallis et de Robert Jonson. C’est que d’abord, à cette époque, presque tous les hommes un peu instruits en Angleterre comprenaient le français, et, suivant toute vraisemblance, c’est dans le texte français que l’œuvre de Montaigne fut révélée à Bacon. Et puis des fragmens de la traduction Florio impatiemment attendue circulèrent vite en manuscrit, ainsi que nous l’atteste Cornwallis, qui ne lisait pas le français, et qui nous dit longuement sa grande admiration pour son devancier et sa reconnaissance envers le traducteur. Quand parut le gros in-folio anglais, le nom de Montaigne

  1. On peut voir à ce sujet : Saintsbury, réédition de la traduction des Essais par Florio (1892-1893) dont la préface traite de l’influence de Montaigne en Angleterre ; Fritz Dieckow, John Florios englische Uebersetzung der Essais Montaignes, und Lord Bacons, Ben Johnsons und Robert Burtons Verhaeltnis zu Montaigne, (Strasbourg, 1903) ; Horatio Upham, The French influence on English literature from the accession of Elisabeth to the restauration (New-York, 1908) ; Sidney Lee, The French renaissance in England (Oxford, 1910) ; surtout miss Grace Norton, The spirit of Montaigne (Boston et New-York, 1908), et The influence of Montaigne (Boston et New-York, 1908). Pour ce qui concerne Marston et Webster on peut se reporter à Crawford, Collectanea, second series (Stratford on Avon, 1907) ; pour Bacon, à mon étude publiée dans la Revue de la Renaissance (juillet octobre 1911, janvier et avril 1912) ; pour Sir Thomas Browne, à l’article de Joseph Texte, Études de littérature européenne (1898) ; pour Locke, aux annotations de Pierre Coste dans sa traduction des Pensées sur l’éducation ; pour Shaftesbury, à Franz Klingenspor, Montaigne und Shaftesbury in ihrer praktischen philosophie (Braunschweig, 1908).