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MONTAIGNE EN ANGLETERRE


I

On sait combien a été profonde l’influence de Montaigne en France. Plus de cent éditions des Essais y ont été publiées depuis la mort de leur auteur. Les générations successives y ont puisé tour à tour les enseignemens qui leur convenaient, chacune les interprétant à sa manière, celle-ci cherchant en Montaigne un modèle de sagesse pratique, celle-là faisant de lui un sceptique, cette autre encore considérant en lui surtout l’artiste et le dilettante. Elles l’ont ainsi sans cesse refait à leur image et comme habillé à la mode du jour, si bien que, en dépit de sa langue vite vieillie qui tendait à le reléguer dans le passé, sa pensée est toujours restée vivante et agissante parmi nous. A toutes les époques il a compté de nombreux disciples et l’on n’ignore plus aujourd’hui que beaucoup de grands écrivains comme Charron, Pascal, Bayle, Voltaire, Rousseau, d’autres encore, ont contracté, des dettes importantes, quoique de nature très différente, envers les Essais.

Ce qu’on sait moins, c’est que hors de France, en Angleterre, cette influence de Montaigne a été, je ne dirai pas égale à ce qu’elle était chez nous, mais encore très considérable. C’est un fait bien digne d’attention que la faveur dont il a toujours joui auprès du public anglais, disons même du public anglo-saxon, car, par la voix d’Emerson, l’Amérique lui a payé, elle aussi, un large tribut d’admiration. Tandis que les écrivains allemands, italiens et espagnols ne citent que rarement son