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marabout n’avait pas travaillé le cœur humain, n’avait pas tenté de former les consciences et rien n’était changé. S’ils n’adoraient qu’un Dieu, les pauvres musulmans émiettaient cette Divinité et n’en connaissaient plus que les fragmens épars dans mille sanctuaires. Devant un petit tumulus de pierre dont nul ne sait plus l’origine, le père s’incline et ordonne à l’enfant de se prosterner ; qu’on lise dans la note sur les marabouts de M. Doutée comment le savant et consciencieux voyageur, recueillant de la bouche d’un indigène africain le nom de Sidi Mofki et le retrouvant au cours de ses recherches, s’étonnait de la diversité de tombeaux et de sanctuaires attribués au même Saint. Sidi Mofki c’est Sidi Mofki, Monseigneur le Caché, le Saint anonyme, oublié, ou purement légendaire, qui n’a laissé derrière lui qu’un vestige de pierraille. Mgr de l’Olivier, dit une femme en pendant pieusement un petit chiffon de laine sur un rameau argenté ! Là aussi le Sidi Mofki a passé, son image s’est évanouie. Mais à la place où il est mort un tronc miraculeux est apparu qu’habite son esprit. Ailleurs une pierre debout, pareille à nos menhirs de Bretagne, dressée près d’une source, appelle les dévots à boire à genoux au creux de leurs mains une eau qui les délivrera d’un fléau redouté. Encore un Sidi Mofki, apparu et disparu sans laisser d’autre trace de sa vie que la source jaillie à son commandement et la pierre debout, blanche comme un fantôme. Près de la mer on verra la fontaine des génies où les esprits des Saints, le soir, s’assemblent et devisent ensemble de la destinée des hommes.

Ici l’homme de la nature, de la campagne, le pauvre rural dont nous suivons les pas a accompli le cycle étroit où tourne sa pensée. Il est revenu à son point de départ et, quand le marabout a posé sa tente sous l’olivier, déjà quelque tradition orale désignait l’arbre à l’attention populaire, et si la source à laquelle il avait bu était réputée pour ses enchantemens, c’est que déjà les dieux rustiques l’avaient consacrée. La pierre debout avait dans la nuit de l’histoire, reçu des sacrifices : autour de la fontaine des génies, les dieux païens, avant les saints musulmans, s’étaient assemblée pour décider dans leurs muets regards du sort des mortels. Qu’avait apporté l’invasion musulmane ? Une conquête et non un apostolat : elle n’avait pas changé les habitudes du cœur, ni déraciné la fleur antique et sauvage ; la fleur païenne que les conquérans au nom de Mahomet avaient fauchée